Illustration par Hugo Gonzalez. © MSF
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Traverser le monde pour une vie meilleure : la migration extracontinentale dans les Amériques

Les migrants extracontinentaux sont confrontés à la violence, aux barrières linguistiques et à la discrimination lorsqu’ils effectuent ce long périple à travers les Amériques

Sergio Pérez Gavilán
Responsable des communications MSF

« Dieu était avec moi, j’ai réussi à m’échapper », dit Mbala*, de La Soledad, un camp de personnes migrantes informel au cœur de Mexico. Adossé à l’une des plus anciennes églises de la capitale, il raconte comment, par des « miracles » occasionnels, sa famille a survécu au périple depuis son pays d’origine en Afrique centrale et sur la route à travers l’Amérique du Nord. Leur périple n’est cependant pas encore terminé : des centaines de kilomètres les séparent encore de la frontière américaine, que Mbala et sa femme, tenant leur enfant dans ses bras, espèrent franchir un jour.  

La migration extracontinentale à travers l’Amérique latine n’est pas un phénomène nouveau, mais elle devient de plus en plus courante. Les échos de la famine, des conflits armés, de la violence et des maladies provenant des quatre coins du monde se font plus fortement ressentir dans les camps de personnes migrantes à travers le continent. Alors que les politiques restrictives de l’Europe entraînent des décès en Méditerranée, où plus de 30 000 personnes se sont noyées ou ont disparu au cours des dix dernières années, la torture persiste en Afrique du Nord et des détentions illégales ont lieu aux frontières internationales. Dans ce contexte, les gens ont été contraints de chercher la sécurité en empruntant de nouvelles routes, plus dangereuses et beaucoup plus longues.   

« Je ne voulais pas partir, mais je n’avais pas le choix après qu’ils ont tué mon père. La persécution, la peur, c’était insupportable. »

Mbala, une personne migrante extracontinentale de la République démocratique du Congo (RDC)

En réponse à cette situation, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) fournissent des soins de santé primaires, un soutien en matière de santé mentale, des services sociaux, de promotion de la santé et de médiation interculturelle le long de la route migratoire à travers l’Amérique latine.  

Le périple de Mbala, comme celui de milliers de personnes originaires d’Afrique ou d’Asie, a été déclenché par la violence, un phénomène qui suit les personnes migrantes presque partout où elles vont. En parcourant les 12 700 kilomètres qui séparent son pays d’origine, la République démocratique du Congo (RDC), du Mexique, il a rencontré des personnes prêtes à recourir à la violence sous toutes ses formes pour exploiter les personnes en situation de vulnérabilité.  

« Je ne voulais pas partir, dit-il, mais je n’avais pas le choix après qu’ils ont tué mon père. La persécution, la peur, c’était insupportable. » Son père, qui était conseiller politique d’un membre de sa famille, a perdu une élection locale l’année dernière et a été assassiné sous ses yeux. En tant que personne persécutée politiquement, Mbala savait, même s’il était encore en deuil, qu’un avenir pacifique dans son pays était impossible.

Sur la Plaza de la Soledad, des personnes migrantes venues du monde entier ont construit un refuge temporaire. Étant donné qu’elles n’ont pas accès aux centres d’hébergement, plusieurs vivent dans des abris de fortune, en attendant de pouvoir poursuivre leur périple. Mexique, 2025. © MSF

« J’ai pensé à aller en France, mais je ne sais pas nager et j’avais peur de me noyer dans la mer [Méditerranée]. Je n’ai pas eu d’autre choix que de fuir aux États-Unis. » Mbala a pris la décision qui allait changer sa vie et celle de sa famille en 2016, mais ils n’ont atteint le continent américain qu’en 2023.  

Au Mexique, le nombre de personnes migrantes extracontinentales en provenance d’Afrique ou d’Asie qui se retrouvent en situation irrégulière face aux autorités a explosé. Alors qu’il y avait 17 044 cas en 2022, ce chiffre est passé à 92 163 en 2023 et à 88 956 en 2024, selon l’Unité des politiques migratoires du Mexique. Cela représente une augmentation de 440 % de 2022 à 2023, suivie d’une diminution de 3,4 % en 2024, ce qui indique que la migration extracontinentale est désormais un facteur démographique important le long de la route migratoire. Toutefois, pour les personnes migrantes extracontinentales, ce périple s’échelonne sur des années, alors qu’il ne dure que quelques mois pour les personnes migrantes latino-américaines. 

« Même s’ils n’ont pas subi de violence directe, on peut quand même parler de stress post-traumatique, car le périple en lui-même est traumatisant. »

Israel Reséndiz, psychologue et coordonnateur des activités médicales mobiles de MSF à Mexico

Des obstacles propres aux personnes migrantes extracontinentales

Israel Reséndiz, psychologue et coordonnateur des activités médicales mobiles de MSF à Mexico, explique que les barrières linguistiques, le long périple et la discrimination rendent la route migratoire extracontinentale particulièrement difficile.  

« Trouver les personnes migrantes extracontinentales est l’un des plus grands défis, mais ce n’est pas le seul », explique-t-il. « Au cours des mois ou des années passées, même si des personnes d’Asie ou d’Afrique traversaient Mexico, on les voyait rarement, car elles empruntaient des itinéraires difficiles d’accès pour nous. Aujourd’hui, nous voyons de plus en plus de groupes de 20 ou 30 personnes en provenance du Bangladesh, de Mauritanie, de la RDC ou d’Afghanistan, par exemple. Et une fois que nous les trouvons, la médiation [culturelle] et la traduction ne sont pas toujours faciles. »  

La peur de demander de l’aide, après avoir subi des discriminations et des violences systématiques, empêche de nombreuses personnes d’accéder aux services disponibles. « Même s’ils n’ont pas subi de violence directe, on peut quand même parler de stress post-traumatique, car le périple en lui-même est traumatisant », explique Israel Reséndiz. « Or, si l’on ajoute les conditions qu’ils fuient, non seulement pour les personnes migrantes extracontinentales, mais pour toutes celles que nous aidons, dont 69 % déclarent avoir subi une forme de violence, les conséquences peuvent être graves. » 

Après un éprouvant périple vers les Amériques depuis l’Angola, Djanina a trouvé refuge dans un camp à Mexico, où elle tresse les cheveux d’autres personnes migrantes. Mexique, 2025. © MSF

« C’est la pire chose que j’ai faite dans ma vie »

Dans un coin du camp, à côté d’une aire de jeux où les enfants se pourchassent en parlant le langage universel de l’enfance, le jeu, Djanina et son mari Paul lavent leurs vêtements, épuisés.  

« Je viens du Congo [RDC] et elle de l’Angola », dit Paul. « Nous nous sommes rencontrés après que j’ai fui la guerre, mais les communautés congolaises sont très mal traitées en Angola, donc sa famille n’a jamais approuvé notre mariage. » Menacés de mort, battus et exclus de la société, Paul et Djanina ont choisi de prendre le chemin de la migration.  

La voix de Djanina se brise lorsqu’elle se remémore leur périple. « C’est la pire chose que j’ai faite dans ma vie. Que puis-je dire, mon ami? » Ils ont quitté l’Angola pour le Brésil, dans l’espoir d’échapper aux coups et aux menaces de mort qui étaient devenus leur réalité quotidienne. Mais ce qu’ils ont trouvé en Amérique latine était encore pire.  

Paul a quitté l’Angola en 2011 et, après avoir exercé divers emplois pendant 11 ans, il a finalement économisé suffisamment d’argent pour que Djanina le rejoigne au Brésil en 2022. Là-bas, les groupes criminels des favelas ont poursuivi le harcèlement qu’ils avaient fui en Angola. N’ayant pas d’autre choix, ils ont repris la route, traversant la Bolivie, le Pérou et l’Équateur. À leur arrivée à Tumbes, en Équateur, ils ont été arrêtés en même temps qu’une famille vénézuélienne.  

[Citation: «Dans le cas des personnes migrantes extracontinentales, les groupes criminels et les autorités profitent de leur situation de vulnérabilité, notamment en raison des barrières linguistiques et du manque de réseaux de soutien. Cela augmente considérablement leur risque de subir des violences extrêmes tout au long de la route.»  

José Antonio Silva, coordonnateur de projet de MSF à Mexico]  

Paul traduit en français tandis que Djanina, en larmes, raconte son histoire en portugais. « Ils nous ont kidnappés. Ils nous ont enfermés dans une maison dans les montagnes, des hommes portant des masques de ski. “De l’argent, de l’argent, des dollars, des dollars!”, ont-ils crié. Puis ils nous ont tout pris et ont séparé les femmes. » 

Djanina ne peut pas continuer son récit. Paul, également en larmes, explique qu’ils l’ont déshabillée et ont cherché de l’argent dans ses parties intimes. C’était avant même leur traversée du Darién Gap et les enlèvements et les agressions qu’ils subiraient en Amérique centrale et dans le sud du Mexique, où Djanina survivrait à un nouvel épisode de violence sexuelle.  

« Prendre en charge les personnes ayant survécu à des violences sexuelles est un aspect essentiel de notre travail le long de la route migratoire », explique José Antonio Silva, coordonnateur de projet de MSF à Mexico. « En 2024, nous avons traité plus de 145 cas, soit près du double de l’année précédente. Dans le cas des personnes migrantes extracontinentales, les groupes criminels et les autorités profitent de leur situation de vulnérabilité, notamment en raison des barrières linguistiques et du manque de réseaux de soutien. Cela augmente considérablement leur risque de subir des violences extrêmes tout au long de la route.  

« Dans le cadre de notre projet à Mexico en 2024, explique José Antonio Silva, nous avons traité 83 personnes migrantes extracontinentales d’au moins 17 nationalités différentes, allant de l’Angola et du Congo au Mali, en passant par le Maroc, l’Afghanistan et la Chine. C’est une petite proportion par rapport aux gens venant d’Amérique latine, mais si l’on tient compte du manque cruel d’accès aux soins de santé de base, aux services de santé mentale et aux ressources nécessaires à la survie, beaucoup d’entre elles arrivent chez nous dans des conditions extrêmement précaires. »

Luísa tient la main de son fils Manuel. Lorsqu’on lui demande comment elle a réussi à mener à bien ce périple tout en s’occupant de ses enfants en tant que mère célibataire, elle répond : « Chacun a son destin et nous avons eu la chance d’avancer sans aucun problème. » Mexique, 2025. © MSF

L’espoir dans l’adversité

Dans un coin ombragé du camp, sous une bâche jaune, Luísa, 39 ans, tient la main de son fils Manuel, 10 ans, et dit que tout au long de leur périple, ils ont été protégés par une puissance supérieure. Depuis qu’ils ont quitté l’Angola, ils ont perdu beaucoup de choses matérielles, mais pas l’espoir. Luísa, mère célibataire de quatre enfants, est venue de l’Angola au Brésil, en passant par le Darién Gap, le Honduras, le Guatemala et le sud du Mexique. Lorsqu’on lui demande comment elle a réalisé ce périple seule avec ses enfants, elle répond :  

« Je ne sais pas. Chacun a sa chance et nous avons eu la chance d’arriver jusqu’ici. C’est la souffrance de marcher, de marcher, et [de manquer] d’eau… Vous arrivez quelque part et il n’y a plus de nourriture, mais vous devez avoir la force de vivre. »  

Le 20 janvier 2025, l’administration américaine a supprimé l’application mobile CBP One, annulant tous les rendez-vous en attente et brisant le dernier espoir des demandeurs ou demandeuses d’asile comme Mbala, Luísa, Paul et Djanina. Désormais bloqués et sans autre perspective, ils attendent et espèrent, contre toute attente, que le Mexique se montrera plus clément que le reste de leur périple.  

*Les noms ont été modifiés pour protéger l’identité des personnes.

Pour protéger la santé et prévenir les maladies des personnes vivant dans les camps de Mexico, les équipes de promotion de la santé de MSF mènent des campagnes de nettoyage en profondeur. Mexique, 2025. © MSF

Le travail de MSF en Amérique latine

Le long de la route migratoire en Amérique latine, MSF fournit des soins de santé primaires, assure un soutien en matière de santé mentale, effectue du travail social, de la promotion de la santé et de la médiation interculturelle. Nos points de service se trouvent en Colombie, au Guatemala, au Honduras, au Mexique et au Panama. En réponse aux changements des politiques migratoires qui affectent les personnes migrantes en situation de vulnérabilité, nous appelons au respect du droit pour ces personnes de demander l’asile et à la mise en place de mécanismes de protection pour préserver leur santé, leur sécurité et leur dignité.

À pied : emprunter la route la plus périlleuse pour trouver la sécurité 

Une bande dessinée (BD) écrite et illustrée par Hugo Gonzalez pour Médecins Sans Frontières.