Des centaines de personnes migrantes se reposent dans le dôme de Huixtla, une ville de l’État du Chiapas. Elles ont marché environ 40 kilomètres depuis Tapachula, à la frontière avec le Guatemala. Les personnes migrantes se regroupent souvent en caravanes dans le sud du Mexique pour se protéger de la violence des groupes armés. Mexique, 2025. Igor Barbero/MSF
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Mexique : vivre dans l’incertitude   

Les autorités de l’État mexicain, à la frontière avec les États-Unis, se préparent à d’éventuelles expulsions massives. C’est pourquoi elles construisent de grandes installations pour héberger les personnes susceptibles d’être expulsées et mettent en place des moyens de transport pour les emmener dans d’autres régions du Mexique. Pendant ce temps, l’incertitude envahit des centaines de milliers de personnes migrantes dans tout le pays.  

Après avoir subi des violences et d’autres problèmes sur une route migratoire longue et compliquée, un Colombien, une Congolaise, une Hondurienne et un Guinéen, tous bloqués dans le sud du Mexique, partagent leurs impressions sur leur expérience et le resserrement de la politique d’immigration américaine. Ces personnes nous ont notamment parlé de la fermeture de l’application CBP One, qui permettait de demander un rendez-vous pour entamer une procédure d’asile aux États-Unis.  

Le responsable d’un refuge pour personnes migrantes à Tapachula, à la frontière avec le Guatemala, explique qu’il y a eu quelques retours dans les pays d’Amérique centrale. Cependant, pour beaucoup d’autres, il n’y a pas de possibilité de retour et demander l’asile au Mexique est désormais considéré comme une option. 

Pendant ce temps, d’autres groupes de personnes migrantes tentent de traverser le territoire mexicain en train ou en caravane, en particulier dans l’État du Chiapas. Elles veulent demander de l’attention et une protection contre les violences perpétrées par divers groupes armés, alors même que les autorités mexicaines ne cessent de renvoyer des personnes migrantes des régions du nord et du centre vers le sud du pays. 

Kevin* : « La principale raison de mon départ était la violence » 

J’ai 22 ans et je viens de Huila [dans le sud-ouest de la Colombie]. J’étais à mon quatrième semestre d’ingénierie industrielle à l’université. Je n’avais pas l’intention de quitter la Colombie parce que j’ai tout là-bas, ma famille… J’avais une vie normale, je jouais au soccer. Je suis un adepte des Millonarios, mais j’aime davantage le soccer européen : le Barça, Liverpool, l’Espagne…  

La principale raison qui m’a poussé à quitter la Colombie est la violence. Mes parents ont une plantation de café. Un jour, un groupe d’hommes armés a commencé à nous intimider. Ils voulaient recruter ceux d’entre nous qui avaient fait leur service militaire, car nous étions déjà entraînés. C’est pourquoi j’ai décidé de fuir. Je ne veux pas faire partie d’un groupe armé qui ne se bat pas pour le bien du pays et qui ne fait que du trafic de drogue.  

J’ai contacté mon frère, qui se trouve dans l’Utah, aux États-Unis, depuis un an. Moi, je suis au Mexique depuis cinq mois. Je suis arrivé par avion à Mexico et j’ai travaillé dans une quincaillerie. Mais lorsque j’ai voulu quitter l’État, les services d’immigration nous ont rattrapés. Ils nous ont fait enlever nos ceintures et nos chaussures. Heureusement, je n’ai rien perdu. Le lendemain, 40 personnes avec des citoyennetés vénézuéliennes, cubaines, honduriennes, salvadoriennes et colombiennes ont été envoyées en bus à Villahermosa (dans l’État de Tabasco, dans le sud du Mexique). De là, je suis arrivé à Coatzacoalcos (État de Veracruz) et maintenant nous attendons le train. Nous avons tous essayé d’atteindre la frontière avant que Trump prenne le pouvoir.  

Kevin* a 22 ans et aime le soccer. Il a quitté la Colombie pour fuir la violence, après qu’un groupe armé a voulu le recruter parce qu’il avait une formation militaire. Il est au Mexique depuis cinq mois et veut atteindre et franchir la frontière américaine. Son frère vit là-bas. Mexique, 2025. Igor Barbero/MSF

Si vous n’avez pas d’argent, il est très difficile de se déplacer au Mexique. Personne ne vous donne rien gratuitement et vous ne pouvez faire confiance à personne, même pas à un chauffeur de taxi. J’ai reçu des menaces sur mon téléphone portable.  

– Donne-nous 50 000 varos (50 000 pesos mexicains, soit environ 2 430 USD) pour ta tranquillité d’esprit.  

– Tu préfères mourir ou nous donner de l’argent?  

J’ai bloqué ce contact. Je savais que le Mexique était dangereux, mais je ne pensais pas que l’application CBP One prendrait fin. Je souffre également de beaucoup de discrimination malgré le fait que j’ai fui mon pays. CBP One avait un gros défaut. Il ne fonctionnait pas par ordre chronologique, mais de manière aléatoire. Le processus de sélection était très lent. Depuis mon arrivée au Mexique, j’ai essayé, mais je n’ai jamais obtenu de rendez-vous, même si j’avais de l’espoir.  

Il ne me reste plus qu’à aller à la frontière, à entrer aux États-Unis et à me rendre. S’ils me donnaient la possibilité de le faire, j’étudierais et j’apprendrais l’anglais. Mes parents me demandent comment je vais. Ils me disent que si je n’en peux plus, je devrais rentrer… mais ma seule option serait d’aller à Bogota et là, je n’ai rien ni personne. Retourner en Colombie me fait peur. 

Salma* : « Je cherche juste une meilleure vie » 

J’ai 26 ans et je voyage avec ma fille de 4 ans. Nous sommes originaires du Congo-Brazzaville. Il n’est pas facile pour nous d’obtenir des visas pour n’importe quel pays, mais nous essayons. Certaines personnes paient jusqu’à 3 000 USD par le biais d’intermédiaires. J’ai obtenu un visa pour le Brésil et nous avons pris l’avion. J’ai passé six mois là-bas à travailler, mais les salaires ne sont pas bons : je gagnais à peine 200 USD par mois. J’ai consulté TikTok pour me renseigner sur le parcours et me préparer moralement. Les gens disent que ce n’est pas facile. Au début, je voulais aller aux États-Unis, mais ils nous ont presque tout pris dans [la jungle du Darién au] Panama.  

Depuis la Colombie, ils nous ont emmenés en bateau et nous sommes arrivés dans une forêt. Nous avons marché pendant un jour et demi jusqu’à ce que nous atteignions la montagne qui sépare la Colombie du Panama, une montagne très grande, avec des pentes très raides. Si tu tombes, tu meurs… Ma petite fille a beaucoup pleuré. Nous étions avec des personnes provenant du Népal, de l’Inde, de la Colombie, du Congo-Brazzaville, de la République démocratique du Congo, du Mali, du Sénégal, du Ghana, de la Mauritanie… Nous avons passé deux jours de plus à traverser le Darién. À cause des pluies, il y a eu des glissements de terrain et des personnes blessées. Nous avons trouvé deux corps. Nous avons passé la nuit sous la pluie. 

 

Salma*, qui vient du Congo-Brazzaville, attend de prendre un train à Coatzacoalcos, dans l’État de Veracruz. Elle a été séparée de sa sœur et veut atteindre la frontière nord pour tenter de passer aux États-Unis, bien qu’elle trouve plus réaliste d’atteindre la ville de Mexico. Elle montre son téléphone portable cassé. Il s’est cassé dans la jungle de Darién au Panama, il y a plusieurs semaines et depuis, elle n’a pas pu appeler sa famille. Mexique, 2025. Igor Barbero/MSF

À la sortie de la jungle de Panama, nous sommes montés dans un canot en payant 30 USD. Nous avons rencontré quatre jeunes hommes armés de machettes et d’autres armes qui nous ont menacés. Ils nous ont emmenés dans un champ de bananes, ont bandé les yeux des hommes et les ont agressés. Ils n’ont rien fait aux femmes, mais ils ont volé notre argent et nos téléphones. Le mien était cassé et ne fonctionnait plus. Depuis, je n’ai pas pu contacter ma famille. Certaines personnes ont également vu leur passeport déchiré. Après, ils nous ont laissés en paix et nous avons dormi au bord de la rivière.  

Le lendemain, nous avons poursuivi notre route jusqu’à un camp de personnes migrantes après avoir traversé une rivière où il y avait des crocodiles. Les autorités nous ont donné de la nourriture et nous ont pris en photo. Il y avait différents organismes et nous avons reçu des trousses d’assistance. Nous avons ensuite pris un bus pour le Nicaragua (via le Costa Rica), puis nous sommes allés au Honduras et au Guatemala avec différents moyens de transport. Le voyage [dans ces pays d’Amérique centrale] a duré trois jours. Les bandes criminelles vous demandent de l’argent, environ 700 USD jusqu’à Tapachula (sud du Mexique). À Tapachula, ils vous demandent à nouveau de l’argent. À chaque arrêt, vous devez donner quelque chose.  

J’étais venue à Tapachula avec ma sœur, mais nous nous sommes séparées parce qu’elle n’avait pas l’autorisation d’aller plus loin. On m’a donné la permission parce que je voyageais avec ma famille. Maintenant, je veux prendre le train ici, à Coatzacoalcos, pour me rendre à Mexico, bien que le permis qu’ils m’ont donné à Tapachula ne m’autorise qu’à traverser [l’État de] Veracruz. Malgré cela, je veux essayer de voir ce qui se passe, peut-être qu’ils peuvent me donner un permis de travail temporaire. Il y a un autre train qui va jusqu’à la frontière avec les États-Unis.  

Je cherche simplement une meilleure vie.

Natasha* : « Je veux juste que mes enfants aillent à l’école » 

Natasha*, qui vient du Honduras, est coincée dans un refuge à Tapachula, dans l’État du Chiapas. Elle a fui la violence dans son pays avec ses enfants et ne veut pas s’exposer aux risques de poursuivre le périlleux voyage migratoire. Mexique, 2025. Yotibel Moreno/MSF

Je suis hondurienne et j’ai 30 ans. Je suis dans un refuge à Tapachula (sud du Mexique) avec ma belle-sœur et mes trois enfants, deux filles de douze et six ans et un garçon de quatre ans. Mon mari a dû quitter le Honduras plus tôt parce qu’ils voulaient l’enrôler dans les gangs et depuis un an, je n’ai plus de nouvelles de lui, je ne sais pas s’il est en vie ou en bonne santé.  

J’ai quitté le Honduras en octobre, dans le premier bus, alors que l’aube n’était pas encore levée. J’avais peur, mais nous ne pouvions plus rester là. Nous avions un petit commerce, c’était suffisant pour vivre et nous occuper de nos enfants. Ils nous ont demandé de payer pour continuer à travailler et au début je l’ai fait, mais ils ont augmenté les frais… Ce n’était même pas assez pour manger. Je leur ai dit que je ne pouvais pas tout leur payer, qu’il manquait le reste de l’argent.  

– Vous pouvez payer de différentes manières, ils m’ont dit.  

– Je ne peux pas le faire devant mes enfants.  

– Trouvez du temps et nous reviendrons.  

Lorsqu’ils sont arrivés, j’ai ordonné aux enfants de s’enfermer dans la chambre et de ne pas sortir avant que je le leur dise. Ils ont fait ce qu’ils voulaient de moi, j’ai seulement prié Dieu pour que mes filles n’entendent pas. Un jour, ils m’ont dit que ma fille de 12 ans était très jolie. Je suis restée silencieuse et j’ai commencé à vendre des choses. Nous avons dû partir. Je ne voulais pas que cela arrive à ma fille.  

Nous sommes arrivés en bus au Guatemala. Lorsque nous avons traversé le fleuve Suchiate pour entrer au Mexique, un Mexicain nous a protégés.  

– Qui sont-ils? lui ont-ils demandé lorsque nous sommes entrés sur le territoire mexicain.  

– Ce sont ma femme, mes enfants et ma belle-sœur, répondit-il.  

– Puisque c’est votre famille, entrez.  

Nous avons pu continuer, mais cet homme est resté en arrière. Je ne pouvais m’empêcher de voir son visage effrayé. « Vous êtes en sécurité maintenant, ils auraient pu abuser de votre fille », m’a dit le Mexicain qui nous a aidés.  

Nous n’avions que 1 000 pesos (environ 50 USD). Nous avons pris le premier taxi que nous avons vu et avons demandé à être emmenés dans un refuge. En tant que femmes, nous sommes exposées à davantage de dangers. Cela fait trois mois que je suis ici, et j’ai très peur. Je n’ai même pas pensé à me joindre à une caravane [de personnes migrantes] ou à prendre un bus. Il y a beaucoup d’histoires, par exemple, sur des personnes qui ont un rendez-vous [pour le CBP One] et un permis (le formulaire d’immigration multiple, qui permet de se déplacer au Mexique), et à qui on demande de descendre du bus et dont on déchire les documents.  

J’ai fait les démarches pour rester au Mexique et demander un rendez-vous pour le CBP One. Je ne savais pas comment faire et quelqu’un m’a aidée, mais cette personne a mal saisi mes informations et je n’ai jamais obtenu de rendez-vous. Je vis dans l’angoisse de ne pas savoir ce qui m’attend, avec la peur qu’ils me trouvent. Je veux juste un endroit où m’installer, pour que les enfants aillent à l’école et que je puisse travailler.  

Dois-je penser à retourner au Honduras? Si ces gens n’étaient plus là, je pourrais… mais je n’en sais rien. 

Mamadou : « Je ne pensais pas que le trajet serait aussi compliqué » 

Mamadou a quitté la Guinée avec sa femme et sa fille, fuyant les menaces qui pesaient sur sa vie. Il se trouve aujourd’hui à Tapachula, dans l’État du Chiapas. Il a abandonné l’idée de se rendre aux États-Unis à la suite des récentes élections. Il a maintenant demandé à résider au Mexique et se sent affabli, alors qu’il attend une consultation dans une clinique de MSF. Mexique, 2025. Yotibel Moreno/MSF

J’ai 33 ans et je voyage avec ma femme, Ramata, et ma fille, Aishatu, qui a un an et huit mois. Nous sommes originaires de Guinée. J’ai vécu en Guinée équatoriale et pendant sept ans dans la ville espagnole de Malaga. Je suis retourné dans mon pays et je me suis engagé dans un parti politique et dans les affaires, mais il y a eu un coup d’État et la situation est devenue de plus en plus compliquée, avec des menaces sur ma vie.  

C’est pourquoi nous avons décidé de partir. J’ai envisagé d’aller en France, mais il était impossible de faire les démarches administratives en peu de temps. Prendre l’avion pour le Brésil était beaucoup plus facile, et nous sommes partis du jour au lendemain, avec l’idée initiale de rejoindre les États-Unis.  

Je ne pensais pas que la route migratoire serait aussi compliqué : du Brésil, nous sommes passés par la Bolivie, le Pérou, l’Équateur, la Colombie… et finalement, nous nous sommes retrouvés à prendre un bateau pour aller au Darién. En fonction de ce que vous pouviez payer, ils vous proposaient des voyages plus ou moins longs. J’ai vu des morts en traversant la jungle. Si j’avais su que ce serait comme ça, je ne me serais jamais lancé dans cette aventure.  

Après avoir traversé le Panama, nous avons reçu de l’aide au Honduras, comme des couches pour le bébé et la permission de traverser le pays en sept jours. Au Guatemala, tous les gens que nous avons rencontrés étaient armés et demandaient 250 USD pour traverser le pays et encore plus à la fin de la traversée. Après avoir traversé la rivière Suchiate pour entrer au Mexique, ils nous ont fait changer tous nos dollars et nous ont fait payer une carte téléphonique.   

Cela fait maintenant deux mois que je suis à Tapachula. Quand j’étais au Pérou et que j’ai vu la nouvelle de la victoire de Trump, je me suis découragé et j’ai abandonné l’idée d’aller aux États-Unis… Nous avons fait une demande de résidence mexicaine. Je me sens un peu faible et c’est pourquoi je suis venu à la clinique. Il y a beaucoup de moustiques dans la maison où nous vivons et j’ai attrapé le paludisme.   

Herbert : « Il y a des familles entières qui ont attendu jusqu’à un an pour obtenir un rendez-vous » 

Je suis le responsable du refuge Buen Pastor à Tapachula. Ce refuge pour personnes migrantes a une capacité de 1 200 personnes, mais nous en avons accueilli jusqu’à 1 700. Les mois d’octobre, novembre et décembre ont été très chargés. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’environ 900 personnes, dont 200 enfants. Il y a des gens du Venezuela, de Cuba, du Nicaragua, du Honduras, du Guatemala, du Brésil… Nous avons aussi reçu des Africains et des Chinois. Après l’annulation du CBP One, certains reviennent. Il y a deux jours, 50 ou 60 personnes sont parties. Beaucoup demandent maintenant à se réfugier au Mexique.   

Plus de 50 personnes avaient déjà obtenu un rendez-vous avec le CBP One dans ce refuge. Ce sont des personnes qui ont beaucoup souffert, qui ont été menacées tout au long de leur parcours. Certaines d’entre elles ont été renvoyées par les services d’immigration [au Mexique] depuis d’autres parties du pays.   

Il y a ici des familles entières qui ont attendu jusqu’à un an pour obtenir un rendez-vous. Une famille de trois personnes du Guatemala, par exemple.     

* Les noms ont été modifiés pour protéger la vie privée.