L’incertitude autour du programme PEPFAR met des millions de personnes en danger
La décision du gouvernement américain de suspendre temporairement le financement du President’s Emergency Plan for AIDS Relief (Plan d’urgence présidentiel de lutte contre le SIDA ou PEPFAR), ainsi que toute autre assistance étrangère pendant au moins 90 jours, a eu des effets immédiats sur les personnes vivant avec le VIH (ou PVVIH), déclare Médecins Sans Frontières (MSF). Bien que les États-Unis aient depuis précisé que certains programmes de traitement peuvent se poursuivre au moins jusqu’en avril, nous craignons que des éléments essentiels du programme PEPFAR restent bloqués.
« Plus de trois semaines après la décision du gouvernement américain de suspendre le financement du PEPFAR, la confusion et l’incertitude règnent toujours quant à savoir si cette bouée de sauvetage indispensable pour des millions de personnes a été coupée », dit Avril Benoît, directrice générale de MSF USA. « Malgré une dérogation limitée couvrant certaines activités, nos équipes constatent que, dans de nombreux pays où nous travaillons, les gens ont déjà perdu l’accès aux soins essentiels et n’ont aucune idée si ou quand leur traitement se poursuivra. MSF appelle le gouvernement américain à reprendre immédiatement le financement de l’ensemble des opérations du PEPFAR, ainsi que d’autres soins de santé et assistance humanitaire essentiels. »
« Toute interruption des services et des traitements contre le VIH est profondément perturbante pour les personnes soignées et constitue une urgence en matière de traitement du VIH. »
Tom Ellman, directeur de l’unité médicale d’Afrique du Sud à MSF Afrique australe
Le 1er février, après plus d’une semaine de chaos et de suspension des activités, le gouvernement américain a publié une dérogation limitée permettant la reprise de certains programmes, avec des directives précises pour le VIH. Cependant, ces directives n’étaient pas claires et n’ont pas été immédiatement communiquées aux équipes nationales du PEPFAR. Dans l’ensemble de son vaste réseau, MSF ne peut identifier une seule organisation capable de reprendre le travail à la suite de ces directives limitées relatives aux dérogations. Le 6 février, le gouvernement américain a publié des directives clarifiées sur les programmes de soins et de traitement du VIH et de prévention de la transmission du VIH de la mère à l’enfant.
Cependant, MSF reste préoccupée par le fait que des domaines clés de la prévention, du traitement, des soins et du soutien en matière de VIH ne sont pas inclus dans ces directives supplémentaires. Il s’agit notamment de la prophylaxie préexposition (PrEP) pour tous les groupes à risque – notamment les personnes LGBTQ, et les travailleuses et travailleurs du sexe –, les interventions spécifiques pour les adolescentes et les jeunes femmes dans les pays à forte prévalence, ainsi que les programmes de surveillance communautaires. Ces services sont essentiels pour assurer une réponse efficace à l’épidémie.
Bien que MSF n’accepte pas de financement provenant du gouvernement américain et ne sera pas directement affectée par les coupes ou gels du PEPFAR, beaucoup de nos activités dépendent des programmes qui ont été interrompus. Dans certains endroits, nous avons dû adapter et modifier nos activités. Les effets indirects de la suspension du financement se sont déjà fait sentir dans nos projets dans diverses régions du monde.
En Afrique subsaharienne, où MSF gère plusieurs programmes de lutte contre le VIH/sida et des programmes de santé connexes, nous constatons déjà des répercussions sur les patientes et patients. En Afrique du Sud, de nombreuses cliniques fournissant des services liés au VIH – notamment des tests, des traitements et la PrEP par l’intermédiaire d’organisations financées par le PEPFAR – ont été fermées. Cette situation laisse les gens perplexes et inquiets quant à l’endroit où ils peuvent accéder à leurs médicaments essentiels. Au Mozambique, une organisation partenaire majeure de MSF qui offrait des services complets de lutte contre le VIH a dû cesser totalement ses activités. Au Zimbabwe, la plupart des organisations fournissant des services de lutte contre le VIH ont aussi arrêté de travailler, perturbant en particulier le programme DREAMS visant à réduire les nouvelles infections au VIH chez les adolescentes et les jeunes femmes.
« Ces perturbations coûteront des vies et réduiront à néant des années de progrès dans la lutte contre ce virus. »
Avril Benoît, directrice générale de MSF USA
« Toute interruption des services et des traitements contre le VIH est profondément perturbante pour les personnes soignées et constitue une urgence en matière de traitement du VIH », déclare Tom Ellman, directeur de l’unité médicale d’Afrique du Sud à MSF Afrique australe. « Les médicaments contre le VIH doivent être pris quotidiennement; sinon, les gens risquent de développer une résistance ou des complications mortelles. »
En République démocratique du Congo (RDC), la suspension de l’assistance affectait déjà le modèle de distribution de médicaments antirétroviraux le plus efficace jamais mis en œuvre à Kinshasa, la capitale. Ce sont les points de distribution gratuite et de soutien par les pairs gérés par la communauté, connus localement sous le nom de « PODI ». Dans un pays où la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH est très forte et où la pauvreté reste un obstacle aux soins, les PODI se sont avérés être une approche médicalement nécessaire pour faire face aux retards ou à l’abandon du traitement. Avec la fermeture des points de soins soutenus par le PEPFAR et le gel d’autres activités, des milliers de personnes se retrouvent sans soutien et courent un risque élevé de développer un VIH avancé. Les équipes de MSF qui offrent des soins aux gens atteints d’une forme avancée du VIH à Kinshasa pourraient ne pas être en mesure de répondre à la demande accrue si les perturbations persistent.
Au Soudan du Sud, environ 51 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur séropositivité et 47 % sont sous traitement. L’interruption de ce programme produira des effets dévastateurs sur des milliers de personnes et leurs communautés. MSF a travaillé aux côtés du PEPFAR pour fournir des soins essentiels contre le VIH dans ce contexte et a constaté de visu comment ce programme sauve des vies. Le soutien du PEPFAR dans ce pays s’avère donc indispensable.
Les programmes soutenus par le PEPFAR dépendent grandement d’autres composantes du système d’assistance étrangère des États-Unis, en particulier le soutien à la mise en œuvre offert par la U.S. Agency for International Development (Agence des États-Unis pour le développement international ou USAID) et l’assistance technique et autre fournie par les U.S. Centers for Disease Control and Prevention (Centres pour le contrôle et la prévention des maladies ou CDC) des États-Unis. Le gel de l’assistance étrangère et les ordres d’arrêt des travaux continuent d’affecter ces agences. Quant au personnel de ces organisations, il a été mis en congé immédiat ou bien rappelé. C’est pourquoi on ignore quand et comment même les activités limitées désormais autorisées pourront redémarrer.
« Ces perturbations coûteront des vies et réduiront à néant des années de progrès dans la lutte contre ce virus », affirme Avril Benoît. « Chaque jour qui passe est une urgence pour les millions de personnes pour qui le PEPFAR représente une bouée de sauvetage. »
« Nous exhortons le gouvernement américain à reprendre immédiatement tout le financement de l’assistance humanitaire et sanitaire essentielle, notamment l’ensemble des opérations du PEPFAR. »
Avril Benoît, directrice générale chez MSF USA
Au cours des 20 dernières années, les programmes soutenus par le PEPFAR ont fait partie intégrante des systèmes de santé des pays partenaires. Les conséquences de ces perturbations ont donc été considérables. Pour cette raison, certains des services affectés vont au-delà du traitement et de la prévention du VIH. C’est le cas notamment en Ouganda, où les éléments de la surveillance et de la réponse aux maladies infectieuses, dont le virus Ebola, financés par le PEPFAR, ont été interrompus.
« Lorsque MSF a commencé à traiter les personnes atteintes du VIH/sida en Afrique du Sud il y a 25 ans, il n’y avait pas de médicaments antirétroviraux en vente libre », explique Tom Ellman. « Chaque diagnostic ressemblait à une condamnation à mort et les communautés tentaient désespérément d’enrayer la propagation du virus. »
Depuis lors, le soutien du PEPFAR a permis de sauver plus de 25 millions de vies et a encouragé la lutte contre le VIH à se développer au niveau mondial. Mais la poursuite de ce succès repose sur l’accès continu à l’ensemble des programmes, services et biens liés au VIH, soit principalement les services de prévention et de traitement, les programmes communautaires spécifiques et ciblés, les programmes liés à la violence sexiste et basée sur le genre, ainsi que d’autres domaines critiques.
En tant que prestataire de soins de santé, MSF est profondément préoccupée par les perturbations de ce programme indispensable.
« Même des interruptions temporaires de composantes clés du PEPFAR nuiront aux personnes à risque de contracter le VIH et aux personnes vivant avec le VIH », déclare Avril Benoît. « Nous exhortons le gouvernement américain à reprendre immédiatement tout le financement de l’assistance humanitaire et sanitaire essentielle, y compris l’ensemble des opérations du PEPFAR. »