Liban : au-delà de la survie; aider les enfants et les adultes à surmonter les traumatismes de la guerre
« Ma fille n’a que 14 ans, mais avec toutes les difficultés que nous avons rencontrées, elle réagit comme une adulte aux bombardements » explique Ezdihar, une mère déplacée au Liban. « Elle a dû grandir rapidement. »
Dans la nuit du 28 septembre, Ezdihar et sa famille étaient en train de prendre leur repas à la maison, dans la banlieue sud de Beyrouth, lorsqu’une alerte a été reçue concernant une attaque imminente des forces israéliennes. Pendant que son mari allait s’occuper de sa mère, Ezdihar a pris ses enfants et, avec des personnes du voisinage, s’est réfugiée dans le centre de Beyrouth. Après avoir passé une nuit dans la rue, la famille a emménagé dans le centre d’hébergement Azarieh, un bâtiment commercial réaménagé qui abrite aujourd’hui quelque 3 500 personnes déplacées. Aujourd’hui, cette famille fait partie des 1,2 million de personnes déplacées par la guerre entre le Hezbollah et Israël, selon les autorités libanaises.
Médecins Sans Frontières (MSF) répond aux besoins médicaux et de santé mentale des personnes vivant dans des abris collectifs comme Azarieh, y compris des enfants comme la fille d’Ezdihar. Elle fait partie d’une génération qui navigue dans un paysage de peur et d’incertitude où les enfants sont les plus durement touchés.
Les conséquences de la guerre et des déplacements sur la santé mentale
En moins d’un mois depuis l’escalade de la guerre, plus de 2 300 personnes ont été tuées au Liban, la majorité des décès ayant eu lieu au cours des trois dernières semaines, et plus de 11 100 ont été blessées, selon les autorités sanitaires. La violence et la destruction dont les gens sont témoins peuvent avoir des répercussions durables sur le bien-être psychologique et émotionnel, en particulier chez les enfants. Comme la fille d’Ezdihar, d’innombrables enfants à travers le Liban ont dû grandir rapidement dans les dures réalités de la guerre, notamment en étant déracinés de leur maison, en voyant leur scolarité perturbée, en étant séparés de leurs camarades et en perdant l’accès à des produits de première nécessité comme la nourriture et le logement.
« Bien des parents observent des troubles du comportement chez leurs enfants : colère, agressivité et autres comportements troublants, ce qui renforce l’inquiétude pour leur bien-être, » explique Amani Al Mashaqba, responsable des activités de santé mentale de MSF dans le gouvernorat de la Bekaa.
Les enfants ne sont pas les seuls à avoir besoin d’un soutien en santé mentale. De nombreuses personnes que MSF soignent se sentent accablées et traumatisées par la menace constante de la violence, et expriment de profondes inquiétudes quant à leur avenir dans un environnement instable. Le chagrin lié à la perte de membres de la famille et la douleur de la séparation due au déplacement aggravent encore leur détresse. D’autres s’inquiètent de la gestion du traitement de leurs problèmes de santé chroniques ou de la possibilité de manquer une année scolaire. Ces expériences ont eu un impact significatif sur la santé mentale des personnes concernées.
« Les gens expriment un fort besoin de services de santé mentale, en particulier pour les traumatismes » a ajouté Amani Al Mashaqba. « Cela affecte leur vie quotidienne, des troubles du sommeil à la perte d’appétit. »
Les équipes de MSF réagissent en fournissant des soins de santé primaires et de santé mentale aux personnes déplacées, y compris des premiers soins psychologiques et de la psychoéducation par le biais de nos unités médicales mobiles dans le pays. Cependant, il n’est pas toujours facile d’amener les gens à reconnaître leurs difficultés et à exprimer leur vulnérabilité. Beaucoup pensent qu’ils doivent rester résistants face aux épreuves, comme l’ont observé nos équipes de santé mentale. Les convaincre qu’il est normal d’éprouver des émotions a parfois été un défi, en particulier pour les jeunes garçons à qui l’on apprend généralement à réprimer leurs sentiments.
Pour renforcer ce soutien, MSF a également mis en place une ligne d’assistance téléphonique qui permet aux gens de recevoir à distance l’aide de spécialistes en psychologie clinique qui les appuient dans la gestion des symptômes liés aux traumatismes, tels que l’anxiété et le chagrin.
Une ligne d’assistance téléphonique pour la guérison
La ligne d’assistance téléphonique de MSF nous permet d’atteindre les gens qui ne peuvent pas accéder à nos services en personne, en particulier dans le sud du Liban où les bombardements intensifs et les restrictions à la libre circulation rendent les trajets difficiles. Cette accessibilité est cruciale au cours d’une période aussi volatile, car de nombreuses personnes sont en déplacement et se heurtent à des obstacles pour accéder aux soins, notamment le coût élevé du transport et la stigmatisation culturelle à l’égard de la santé mentale.
Un nombre considérable de gens qui appellent la ligne d’assistance sont des parents qui ont du mal à aider leurs enfants à faire face à la guerre, alors qu’ils remarquent souvent des changements dans leurs comportements. Les parents s’efforcent d’expliquer à leurs enfants les bruits effrayants des bombes et des tirs, recourant parfois à des explications trompeuses pour tenter de les rassurer. Les coups de feu, par exemple, peuvent être décrits comme des « coups de feu joyeux, » tels que les coups de feu tirés lors de célébrations de mariages. Les psychologues de notre service d’assistance téléphonique fournissent aux parents des stratégies pour communiquer honnêtement et créer des espaces sûrs pour que leurs enfants puissent exprimer leurs sentiments.
« Nous devons être réalistes face à la situation, mais nous devons aussi normaliser leurs sentiments, » explique Amani Al Mashaqba. « Il est important que les parents écoutent leurs enfants et comprennent comment les sons les affectent. Ils peuvent encourager les enfants à partager leurs sentiments en dessinant ou en parlant. »
Face à une demande croissante, le service d’assistance téléphonique a connu une augmentation spectaculaire du nombre d’appels, passant de cinq appels par jour au début à 80 en une seule après-midi. Dans l’ensemble, la ligne d’assistance a reçu près de 300 appels concernant la santé mentale, la majorité d’entre eux ayant été reçus au cours des deux dernières semaines seulement.
En outre, nos équipes mobiles ont animé des séances de groupe de premiers secours psychologiques pour près de 5 000 personnes au 21 octobre 2024, et plus de 450 personnes ont assisté à des séances individuelles de santé mentale. Nos équipes offrent également une assistance psychologique de premiers secours, qui comprend une écoute active et des techniques de soulagement du stress, permettant aux gens d’exprimer leurs sentiments et leurs préoccupations. Outre les soins médicaux et de santé mentale essentiels, nos équipes distribuent également des articles non alimentaires de première nécessité, tels que des matelas et des trousses d’hygiène, aux personnes déplacées.
Un pays en crise
La guerre actuelle fait suite à une crise économique prolongée qui a fait que plus de 80 % de la population libanaise vit en dessous du seuil de pauvreté et a un besoin urgent d’assistance. Le secteur de la santé est confronté à de graves difficultés, les services publics se détériorant et les soins de santé privés devenant de plus en plus inabordables.
« L’un de mes psychologues m’a raconté que lorsqu’une femme a appris que nos services étaient gratuits, elle s’est mise à pleurer, » a indiqué Amani Al Mashaqba. « Les gens ne sont souvent pas habitués à avoir accès à ce type de ressources sans en supporter la charge financière. »
Par ailleurs, le Liban accueille un nombre important de personnes réfugiées, dont 1,5 million de Syriens et de Syriennes et plus de 200 000 Palestiniens et Palestiniennes, dont beaucoup ont subi des déplacements répétés. Pour ces personnes, la peur de l’expulsion et la lutte pour trouver la sécurité peuvent être écrasantes. « Certains individus m’ont dit qu’ils préféraient mourir plutôt que de revivre le traumatisme d’être une fois de plus une personne réfugiée, » a déclaré Amani Al Mashaqba.
MSF procède à des évaluations continues des besoins des personnes déplacées internes et, à mesure que la situation évolue, nos équipes travaillent en étroite collaboration avec des partenaires et des réseaux d’hôpitaux afin d’apporter un soutien complet dans la mesure du possible.