Les équipes de MSF ont soigné le fils de Nyaluak Kuol, âgé de 2 ans, atteint du choléra lors d’une épidémie qui s’est rapidement propagée. Soudan du Sud, 2024. © Isaac Buay/MSF
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Les 100 premiers jours d’une crise sanitaire et humanitaire mondiale croissante

La réduction par les États-Unis des fonds destinés à l’assistance étrangère touche durement les communautés confrontées à des conflits et des crises.

Trois mois après la suspension pour révision du financement de l’assistance internationale, l’administration américaine a mis fin à une grande partie de ses programmes mondiaux de santé et d’assistance humanitaire. Les structures fédérales chargées de superviser ces activités ont été démantelées et une grande partie du personnel responsable de leur mise en œuvre a été congédié. Partout dans le monde, des personnes se demandent comment elles pourront poursuivre leur traitement et les prestataires de soins médicaux ont du mal à maintenir les services essentiels. Les organisations humanitaires sonnent l’alarme face à l’explosion des besoins dans les pays déjà confrontés à des situations d’urgence. 

« Ces coupes soudaines décidées par l’administration Trump sont une catastrophe d’origine humaine pour des millions de personnes qui luttent pour survivre au milieu des guerres, des épidémies et d’autres situations d’urgence », déclare Avril Benoît, directrice générale de Médecins Sans Frontières (MSF) aux États-Unis. « Nous sommes une organisation d’intervention d’urgence, mais nous n’avons jamais vu une perturbation aussi massive des programmes de santé mondiale et humanitaire. Les conséquences sont catastrophiques, d’autant plus que les personnes qui ont besoin de cette assistance font déjà partie des communautés les plus vulnérabilisées au monde. »

« L’aide américaine a été une bouée de sauvetage pour des millions de personnes, et la supprimer entraînera plus de décès évitables et des souffrances incommensurables. Nous ne pouvons pas accepter cette nouvelle norme dangereuse. »

Avril Benoît, directrice générale de Médecins Sans Frontières (MSF) aux États-Unis

Les États-Unis ont longtemps été le principal bailleur de fonds des programmes mondiaux de santé et d’assistance humanitaire, représentant environ 40 % du financement dans ces domaines. Ces investissements ont permis d’améliorer la santé et le bien-être de nombreuses communautés à travers le monde, tout cela pour un coût inférieur à 1 % du budget fédéral américain annuel. 

Les conséquences dramatiques de la suppression soudaine d’une part aussi importante de l’assistance se font déjà sentir, notamment pour les personnes exposées à la malnutrition et aux maladies infectieuses, et pour celles qui sont confrontées à des crises humanitaires à travers le monde. Et ces réductions importantes du financement américain s’inscrivent dans un programme politique plus large. Elles ont des répercussions sur les personnes dont l’accès aux soins est déjà limité par la persécution et la discrimination, telles que les personnes réfugiées et migrantes, les personnes civiles prises dans des conflits, les communautés LGBTQI+ et toute personne pouvant tomber enceinte.

« Tout a commencé il y a trois semaines, lorsque j’ai emmené [mon fils] chez un médecin du village qui lui a donné des médicaments pour arrêter la diarrhée, mais son état ne s’est pas amélioré », raconte Rawda, dont le fils Mohammed a finalement été transféré dans un hôpital de campagne pour y être soigné. Yémen, 2024. © Mario Fawaz/MSF

MSF ne reçoit pas de financement du gouvernement américain. Nous ne sommes donc pas directement touchés par ces changements majeurs dans l’assistance humanitaire comme le sont d’autres organisations. Nous restons engagés à fournir des soins médicaux et une assistance humanitaire d’urgence dans plus de 70 pays à travers le monde. Cependant, face à l’ampleur des besoins, aucune organisation ne peut accomplir seule ce travail.

Le sort des rares programmes encore financés par les États-Unis reste incertain. L’administration américaine prévoit désormais de prolonger de 30 jours la période d’examen initiale de 90 jours qui devait s’achever le 20 avril, selon un courriel interne du département d’État obtenu par les médias. 

MSF ne reçoit pas de financement du gouvernement américain. Nous ne sommes donc pas directement touchés par ces changements majeurs dans l’assistance humanitaire comme le sont d’autres organisations. Nous restons engagés à fournir des soins médicaux et une assistance humanitaire d’urgence dans plus de 70 pays à travers le monde. Cependant, face à l’ampleur des besoins, aucune organisation ne peut accomplir seule ce travail. 

Nous travaillons en étroite collaboration avec d’autres organisations humanitaires et de santé, dont les programmes sont aujourd’hui perturbés en raison des réductions du financement. Dans ce contexte, fournir des soins devient plus difficile et coûteux, d’autant que les ministères de la santé sont touchés à l’échelle mondiale et que les partenaires locaux se font plus rares, que les chaînes d’approvisionnement sont bloquées, et que les possibilités de diriger les personnes vers des soins spécialisés se réduisent.

Au milieu du chaos et de la confusion qui règne actuellement, nos équipes constatent déjà les conséquences potentiellement mortelles des mesures prises jusqu’à présent par l’administration américaine. Tout récemment, elle a annulé la quasi-totalité des programmes d’assistance humanitaire au Yémen et en Afghanistan, deux pays parmi les plus touchés au monde sur le plan humanitaire. Après des années de conflit et de crises multiples, on estime que 19,5 millions de personnes au Yémen, soit plus de la moitié de la population, dépendent de l’assistance. La décision de punir les civils pris au piège de ces deux conflits va à l’encontre des principes fondamentaux de l’assistance humanitaire.

Sohaib, âgé de six mois, souffre de malnutrition et de varicelle. Afin qu’il puisse recevoir des soins, sa mère a effectué un trajet de quatre heures depuis leur village jusqu’à l’hôpital régional de Herat. Afghanistan, 2024. © Mahab Azizi

Partout à travers le monde, MSF a observé la réduction ou la suppression d’activités essentielles menées par des organisations financées par les États-Unis : campagnes de vaccination, soins de santé sexuelle et reproductive, accès à l’eau potable et services d’assainissement, protection des personnes civiles dans les zones de conflit. 

« C’est choquant de voir les États-Unis abandonner leur rôle de leader dans les efforts mondiaux de santé et d’assistance humanitaire », déclare Avril Benoît. « L’aide américaine a été une bouée de sauvetage pour des millions de personnes, et la supprimer entraînera plus de décès évitables et des souffrances incommensurables. Nous ne pouvons pas accepter cette nouvelle norme dangereuse. Nous appelons l’administration et le Congrès [américains] à maintenir leur engagement en faveur de l’assistance humanitaire et de la santé mondiale. »

Un membre de l’équipe MSF désinfecte avec de l’eau chlorée les chaussures des personnes qui entrent et sortent du centre de traitement du choléra de MSF, réduisant ainsi le risque de propagation du choléra par le sol contaminé. Soudan du Sud, 2024. © Paula Casado Aguirregabiria

Un aperçu de l’impact de la réduction de l’aide américaine sur les personnes à travers le monde

Malnutrition

Les coupes dans le financement américain ont de graves répercussions sur les personnes vivant dans les régions de Somalie touchées par la sécheresse chronique, l’insécurité alimentaire et les déplacements liés au conflit. Dans les régions de Baidoa et Mudug, la réduction des opérations des organisations humanitaires, due aux coupes budgétaires américaines et à un manque global d’assistance humanitaire, aggrave encore la pénurie de services de santé et de programmes nutritionnels.  

Par exemple, la fermeture de cliniques de santé maternelle et infantile et d’un centre de nutrition thérapeutique à Baidoa a privé de soins mensuels des centaines d’enfants dénutris. Les équipes des programmes nutritionnels de MSF à Baidoa ont signalé une augmentation des admissions pour malnutrition aiguë sévère depuis les coupes budgétaires. L’hôpital régional de Bay, soutenu par MSF, a accueilli des personnes venues de jusqu’à 190 km pour se faire soigner en raison de la fermeture d’autres installations. 

VIH

Les coupes dans le financement du President’s Emergency Plan for AIDS Relief (Plan d’urgence présidentiel de lutte contre le SIDA ou PEPFAR) et de la U.S. Agency for International Development (Agence des États-Unis pour le développement international ou USAID) ont entraîné la suspension et la fermeture de programmes de lutte contre le VIH dans des pays comme l’Afrique du Sud, l’Ouganda et le Zimbabwe, mettant en danger la vie des personnes sous traitement antirétroviral. 

En Afrique du Sud, l’initiative pionnière Treatment Action Campaign, qui a contribué à transformer la réponse du pays au VIH/sida, a dû réduire considérablement son système de surveillance communautaire. Ce suivi, qui permettait de s’assurer que les personnes poursuivaient leur traitement, n’est désormais assuré qu’à très petite échelle dans les cliniques.  

Dans le cadre du programme de MSF à San Pedro Sula, au Honduras, la distribution de comprimés de prophylaxie préexposition (PrEP) a augmenté de 70 % de janvier à mars par rapport au trimestre précédent. Les consultations pour des services de santé, y compris pour le VIH, ont augmenté de 30 %. Cette augmentation de la demande de service s’accroît à mesure que les coupes du financement de l’USAID réduisent l’accès aux autres services de prévention du VIH.

Épidémies

Dans les régions frontalières entre le Soudan du Sud et l’Éthiopie, une épidémie de choléra qui se propage rapidement dans un contexte de violences croissantes. Les équipes de MSF répondent à cette épidémie alors qu’au même moment, d’autres organisations réduisent leur présence. Selon nos équipes, plusieurs organisations, dont Save the Children, ont suspendu leurs activités de cliniques mobiles dans le comté d’Akobo, au Soudan du Sud, en raison de la réduction du financement américain. Save the Children a rapporté plus tôt ce mois-ci qu’au moins cinq enfants et trois adultes atteints de choléra sont morts pendant le long et accablant trajet qu’ils effectuaient pour se faire soigner dans cette région.   

Avec le retrait de ces organisations, les autorités sanitaires locales sont désormais confrontées à des limitations majeures dans leur capacité à répondre efficacement à l’épidémie. MSF alerte que la perturbation des services mobiles, combinée à la baisse de capacité d’autres acteurs à soutenir les campagnes de vaccination orale, accroît le risque de décès évitables. Cette situation favorise aussi la propagation continue de cette maladie hautement contagieuse.

Vue de l’intérieur du service pédiatrique du centre de traitement du choléra de MSF à Assosa. Soudan du Sud, 2024. © Paula Casado Aguirregabiria

Santé sexuelle et reproductive

Dans plus de 20 pays, les équipes de MSF ont partagé leurs inquiétudes concernant l’interruption ou la suspension des programmes de santé sexuelle et reproductive (SSR). MSF s’appuie sur ces programmes pour les transferts médicaux d’urgence, l’approvisionnement en fournitures et les partenariats techniques, dans des contextes où les taux de mortalité maternelle et infantile sont déjà élevés.  

À Cox’s Bazar, au Bangladesh, se trouve l’un des plus grands camps de personnes réfugiées au monde. Les équipes de MSF sur place rapportent que d’autres acteurs ne sont plus en mesure de procurer des fournitures telles que des trousses d’accouchement d’urgence ou des contraceptifs. Les transferts de patientes et de patients pour des urgences médicales, comme les soins post-avortement, ont également été perturbés, ce qui accroît les besoins urgents en soins de SSR dans la région. 

Dans les projets de MSF, les équipes de promotion de la santé font de la sensibilisation à l’importance des soins de santé auprès des communautés. Ici, Shinjiro Murata, directeur général de MSF au Japon, s’entretient avec une famille après une séance organisée pour les femmes rohingyas à Cox’s Bazar. Bangladesh, 2022. © Elizabeth Costa/MSF

Migration

Les récents changements dans la politique migratoire américaine ont augmenté les besoins en services de protection essentiels, mais plusieurs de ces services ont été fermés ou ont considérablement réduit leurs opérations.  C’est notamment le cas des refuges pour femmes et enfants, de l’aide juridique et du soutien aux personnes ayant survécu à des violences. Pour les équipes de MSF et les personnes auxquelles nous portons assistance, les réseaux d’orientation ont pratiquement disparu dans des lieux comme Danlí, San Pedro Sula, Tapachula et Ciudad de México. De nombreuses personnes migrantes se retrouvent ainsi sans endroit sûr où dormir ni accès à la nourriture, à une assistance juridique ou à un accompagnement psychosocial.

Accès à l’eau potable

Dans les premières semaines suivant le gel du financement de l’assistance, nos équipes ont constaté que plusieurs organisations avaient cessé de distribuer de l’eau potable aux personnes déplacées vivant dans des zones touchées par les conflits, notamment dans la région du Darfour (Soudan), du Tigré (Éthiopie) et à Port-au-Prince (Haïti).  

En mars, en réponse à la crise à Port-au-Prince, MSF est intervenue pour mettre en place un système de distribution d’eau par camions-citernes. Nous avons approvisionné en eau quatre camps, soit plus de 13 000 personnes déplacées à la suite des affrontements violents entre les groupes armés et les forces de l’ordre. Cette intervention s’est ajoutée à nos activités régulières axées sur la fourniture de soins médicaux aux personnes ayant survécu à des violences. Assurer l’accès à l’eau potable est essentiel pour préserver la santé et prévenir la propagation de maladies hydriques comme le choléra.

Vaccination

La décision annoncée des États-Unis de couper leur financement à Gavi, l’Alliance du vaccin, pourrait avoir des conséquences désastreuses pour les enfants à travers le monde. L’organisation estime que la perte du soutien américain privera environ 75 millions d’enfants de vaccins de routine au cours des cinq prochaines années, ce qui pourrait entraîner plus de 1,2 million de décès.  

Dans le monde, plus de la moitié des vaccins utilisés par MSF proviennent des ministères de la santé locaux via Gavi. Nous pourrions en voir les conséquences dans des pays comme la République démocratique du Congo, où MSF vaccine plus d’enfants que partout ailleurs. Rien qu’en 2023, MSF y a vacciné plus de deux millions de personnes contre des maladies comme la rougeole et le choléra.

André Keli et Stallone Deke, logisticien et chauffeur de MSF à Kisangani, s’assurent de l’emballage final des vaccins avant qu’ils ne soient expédiés à Bondo, au Bas-Uélé. République démocratique du Congo, 2021. © Pacom Bagula/MSF

Santé mentale

Dans le camp de Kule, en Éthiopie, les équipes de MSF gèrent un centre de santé pour plus de 50 000 personnes réfugiées du Soudan du Sud. Une organisation financée par les États-Unis qui travaillait dans le camp a soudainement interrompu ses services de santé mentale et d’accompagnement pour les personnes ayant survécu à des violences sexuelles et a retiré son personnel. Les équipes de MSF fournissent d’autres soins médicaux, mais ne peuvent actuellement pas répondre offrir les services de santé mentale et d’accompagnement dont ces personnes ont besoin.

Maladies non transmissibles

Au Zimbabwe, la réduction du financement américain a contraint un prestataire local à mettre fin à ses activités de sensibilisation communautaire qui visaient à identifier les femmes à dépister pour le cancer du col de l’utérus. Ce cancer celui qui cause le plus de décès au Zimbabwe, bien qu’il soit évitable. De nombreuses femmes et filles, notamment dans les zones rurales, n’ont pas les moyens ou l’accès au diagnostic et au traitement, ce qui rend les activités de sensibilisation, de dépistage et de prévention indispensables.