Une infirmière dépose un nouveau-né dans les bras de sa mère, qui a subi une césarienne une heure plus tôt en raison d’une prééclampsie sévère. Haïti, 2025. © Marx Stanley Léveillé/MSF
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Haïti : « Quand il pleut, impossible d’atteindre l’hôpital »

Dans le sud-ouest d’Haïti, les femmes enceintes affrontent de nombreux défis pour accéder aux soins de santé

Les défis pour les femmes enceintes en zones éloignées 

Dès les premières lueurs de l’aube, le village de Douillette, niché dans la commune de Chardonnières, dans le département du Sud, commence à s’éveiller. À cette heure, dans la pointe du sud-ouest de l’île d’Haïti, les étals du marché se montent lentement et les enfants se hâtent pour rejoindre leurs écoles. Manita, 39 ans, enceinte de sept mois, traverse ce village en pleine effervescence pour se rendre à sa consultation prénatale au centre de santé de Rendel, soutenu par Médecins Sans Frontières (MSF). Elle arrivera là-bas deux heures après être partie de chez elle, à 9 heures. Le trajet du retour sera encore plus éprouvant : elle devra gravir les montagnes, un effort d’autant plus difficile en raison de sa grossesse. « Je mets beaucoup plus de temps pour rentrer chez moi, car je ne peux pas marcher rapidement », confie-t-elle. 

De nombreuses structures sanitaires ont été endommagées lors du séisme qui a touché le sud du pays en août 2021. « Il n’y a pas de centre de santé à Douillette. Le plus proche est à Rendel, puis à Port-à-Piment, à plusieurs heures de marche ou à une demi-heure à motocyclette. Chardonnières est encore plus loin. En dehors de cela, il n’y a aucune autre structure sanitaire dans les environs », explique Manita. 

« Faute de structures de santé fonctionnelles, certaines femmes parcourent de longues distances pour accoucher à Port-à-Piment, parfois depuis Les Cayes, malgré la présence d’un hôpital. En Haïti, surtout en zone rurale, les accouchements à domicile restent fréquents. »

Mackencia Beaubrun, superviseuse de l’équipe de sages-femmes de MSF

La situation de la santé maternelle en Haïti reste préoccupante, comme l’indiquent les données du rapport statistique 2023 du ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP). En 2023, le taux de mortalité maternelle s’est élevé à 201 décès pour 100 000 accouchements, marquant une hausse par rapport aux 155 décès pour 100 000 en 2022. Le département du Sud est particulièrement affecté, avec un taux alarmant de 344 décès pour 100 000 accouchements, l’un des plus élevés du pays. 

Dans la salle d’opération du service de maternité de MSF à Port-à-Piment, trois médecins effectuent une césarienne sur une patiente atteinte d’une prééclampsie sévère. Haïti, 2025. © Marx Stanley Léveillé/MSF

Sensibiliser aux consultations prénatales 

La maternité de Port-à-Piment, reconstruite et agrandie par MSF après le séisme de 2021 en collaboration avec le MSPP, est l’une des rares structures de la région à offrir une prise en charge complète. On y offre des accouchements sécurisés, des interventions obstétricales d’urgence et des soins néonataux, et même un service de soins intensifs, le seul de tout le département du Sud. MSF y réalise environ 120 accouchements par mois, dont une vingtaine de cas compliqués. En 2024, près de 450 nouveau-nés y ont été pris en charge. 

« Faute de structures de santé fonctionnelles, certaines femmes parcourent de longues distances pour accoucher à Port-à-Piment, parfois depuis Les Cayes, malgré la présence d’un hôpital. En Haïti, surtout en zone rurale, les accouchements à domicile restent fréquents », explique Mackencia Beaubrun, superviseuse de l’équipe de sages-femmes de MSF. 

Afin de réduire les risques liés à la grossesse, les équipes de promotion de la santé de MSF organisent quotidiennement des sessions de sensibilisation communautaire dans les villages environnants. Elles mettent l’accent sur l’importance des consultations prénatales et les dangers associés aux accouchements à domicile. Elles expliquent aussi que le personnel des centres de santé veille au bien-être des femmes enceintes et des bébés en cas de complication lors de l’accouchement.

Des membres de l’équipe de promotion de la santé de MSF communiquent des informations à une femme à Calebasse, un village isolé du département du Sud. Haïti, 2025. © Marx Stanley Léveillé/MSF

Yvanne, de Grand Chemin, a accouché seule de ses six premiers enfants. Après des séances de sensibilisation avec MSF, elle a choisi le centre de santé de Rendel pour accoucher son septième enfant. « Les discussions avec MSF m’ont convaincue d’éviter les risques, car par chance, mes précédents accouchements s’étaient déroulés sans complication », confie-t-elle. Sans transport, son voisinage et son fils l’ont accompagnée jusqu’au centre, à une heure de marche. « Malgré la douleur, je ne voulais pas accoucher chez moi. » Aujourd’hui, elle se dit soulagée. « J’ai reçu beaucoup de soins et me sens bien plus rassurée », ajoute-t-elle. 

« Quand il pleut beaucoup, même si ton enfant est malade, tu ne peux pas l’emmener à l’hôpital, car il est impossible de traverser les rivières. »

– Manita, une patiente du centre de santé de Rendel, soutenu par MSF

Dans le département du Sud, outre la maternité de Port-à-Piment, MSF soutient trois centres de santé gérés par le MSPP à Rendel, Tiburon et Chardonnières afin de renforcer l’accès aux soins dans les zones les plus isolées. De plus, en cas d’accouchements compliqués dans les centres de santé ou dans la communauté, deux ambulances de MSF sont prêtes à assurer les transferts vers la maternité de Port-à-Piment.

Accéder aux soins de santé malgré les obstacles 

À l’approche de la saison des pluies, qui débutera bientôt, les conditions d’accès aux soins vont se détériorer davantage. Pour des femmes comme Manita et Yvanne, les obstacles sont de taille : lorsque les rivières en crue isolent les villages, l’accès aux structures de santé devient alors impossible. « Quand il pleut beaucoup, même si ton enfant est malade, tu ne peux pas l’emmener à l’hôpital, car il est impossible de traverser les rivières », explique Manita. 

Manita, 39 ans, enceinte de sept mois, rentre chez elle à pied après une consultation médicale au centre de santé Rendel. Elle doit marcher deux heures et traverser le lit d’une rivière, car aucun moyen de transport n’est disponible en raison des routes impraticables de la région. Haïti, 2025. © Marx Stanley Léveillé/MSF

Manita et Yvanne n’ont d’autre choix que de risquer leur vie et celle de leurs enfants en empruntant un chemin semé d’embûches pour accéder aux consultations prénatales et postnatales, et même pour accoucher. « Si nous avions plus de centres de santé fonctionnels, les femmes enceintes pourraient accoucher en toute sécurité, et les enfants comme les adultes qui tombent malades recevraient des soins à temps », confie Manita.

Bien que le département du Sud soit à l’abri de l’insécurité qui sévit à Port-au-Prince, il souffre lourdement des conséquences de la crise qui frappe Haïti depuis plusieurs années. L’emprise croissante des groupes armés sur les principales routes d’accès isole la région de la capitale et perturbe fortement l’approvisionnement des structures de santé en médicaments, en sang et autres ressources essentielles.  

Par ailleurs, l’exode du personnel soignant haïtien vers l’étranger aggrave la pénurie de personnel médical dans les zones éloignées. De plus, la suspension du financement américain, qui couvrait 59 % du plan humanitaire en Haïti en 2024, exacerbe la pénurie d’assistance humanitaire. Ce gel des fonds fragilise l’accès aux soins et risque d’entraîner une hausse alarmante de la mortalité maternelle.