Monique Sanon vit à Cité Soleil, où elle lutte pour survivre. « Je suis pauvre. Ma maison a brûlé et j’ai reçu deux balles dans le bras. » Haïti, 2024. © Quentin Bruno Vanbergen/MSF
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Haïti : les femmes sont piégées entre violence et pauvreté à Port-au-Prince

Trois Haïtiennes, Géralda, Alcélia et Cherlyne, parlent ici de leur combat quotidien pour survivre à Brooklyn. Dans ce quartier isolé de Cité Soleil, à Port-au-Prince, les équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) sont les seules à fournir chaque jour des soins gratuits. 

Cité Soleil, un bidonville au cœur de la violence 

Géralda fait partie des femmes prisonnières de Cité Soleil, une enclave aux mains de groupes armés dans laquelle vivent 300 000 personnes, coupées de toute assistance humanitaire depuis des années. 

« Avant, je pouvais vendre quelques produits pour subvenir à mes besoins, raconte la mère de six enfants. Mais depuis le début des violences, je ne peux plus trop sortir, j’ai dû abandonner mon commerce, je n’ai plus rien. J’ai envoyé mes enfants chez leurs grands-parents, car je ne pouvais plus m’occuper d’eux, et je suis restée seule ici avec mon bébé de six mois. » 

Depuis 2022, Cité Soleil est le théâtre d’affrontements entre groupes armés rivaux. Tenu par l’un d’entre eux pendant plusieurs années, Brooklyn a longtemps été encerclé par les combats. Les gens qui habitent ce quartier étaient sous la menace constante des tirs croisés et ne pouvaient pas circuler librement sans risquer leur vie. Bien que ces groupes aient cessé leurs conflits depuis février 2024 et levé certains barrages, le quartier reste en proie à une violence extrême. Meurtres, agressions, enlèvements, violences sexuelles, restrictions de mouvement et destructions rythment le quotidien des gens, limitant leur accès à l’eau potable, à la nourriture et aux soins. 

Alcélia René, qui habite le quartier de Brooklyn à Cité Soleil, décrit les défis de la vie dans le quartier. « Ici, certaines personnes attrapent le choléra. Moi, par exemple, je suis souvent malade et j’ai parfois des nausées. » Elle souligne également le manque d’installations de soins de santé. « Il n’y a pas de clinique ici. Nous n’en avons aucune. » Haïti, 2024. © Quentin Bruno Vanbergen/MSF

Les femmes en première ligne 

« Les femmes souffrent encore plus ici : nous n’osons pas sortir de chez nous, nous vivons dans la peur et la souffrance au quotidien », poursuit Géralda. En 2024, les équipes de MSF ont pris en charge 4 463 victimes de violences sexuelles à Port-au-Prince. 

Depuis juillet 2022, MSF est la seule organisation humanitaire présente chaque jour à Brooklyn. Les équipes y soutiennent le Centre de santé Sainte-Marie, initialement destiné aux consultations générales, qui oriente aussi les survivantes de violences sexuelles vers l’hôpital de MSF à Cité Soleil. En 2024, plus de 11 000 consultations y ont été réalisées, dont 2 700 pour des enfants de moins de cinq ans. 

En Haïti, plus de la moitié de la population vit avec moins de 3,74 USD par jour, rendant impossible l’accès aux soins de santé privés, ce qui fait de MSF leur unique recours. Dans la capitale haïtienne, l’escalade de la violence, avec de nombreuses attaques et pillages d’hôpitaux, a plongé le système de santé dans une crise profonde. Port-au-Prince ne compte qu’un seul hôpital public opérationnel, et il est confronté à des pénuries de sang et d’oxygène ainsi qu’à un manque de lits et d’équipement chirurgical. 

Une pharmacienne prépare des médicaments au Centre de santé Sainte-Marie, une clinique soutenue par MSF dans le quartier de Cité Soleil, à Port-au-Prince. Haïti, 2024. © Quentin Bruno Vanbergen/MSF

Une communauté exposée au risque d’une catastrophe sanitaire 

« Parfois, il n’y a pas d’eau potable, nous buvons de l’eau salée qui cause des démangeaisons et des problèmes de santé », raconte la mère de famille. 

Depuis 2004, en raison de l’insécurité, Cité Soleil a été progressivement abandonnée par les services publics, laissant les gens qui y habitent sans accès à l’eau potable et à l’assainissement. Faute de structures sanitaires adéquates, ceux-ci sont contraints de boire de l’eau non potable et de faire leurs besoins en plein air. « Nous n’avons pas le choix », explique Alcélia, mère de cinq enfants, qui vit à Brooklyn dans un abri en tôle avec dix autres personnes. 

« Imaginez une communauté sans aucun hôpital fonctionnel. Lorsque la violence éclate, nous devons nous transformer en salle d’urgence, alors que nous ne sommes qu’un centre de santé destiné aux consultations. » 
 

Odans El Mondo, un médecin de MSF qui travaille à Brooklyn 
Une équipe de MSF traverse le quartier de Brooklyn à Cité Soleil, Port-au-Prince, l’une des zones les plus vulnérables du pays. Haïti, 2024. © Quentin Bruno Vanbergen/MSF

Les pluies torrentielles favorisent la propagation de choléra, des maladies de la peau et des infections urinaires par contact avec des eaux contaminées. « L’eau nous donne des taches sur la peau et mon bébé tombe souvent malade », explique Cherlyne, mère célibataire de cinq enfants, forcée de mendier pour les nourrir. 

La saison des pluies prévue en mai menace d’aggraver la situation. En effet, les systèmes d’assainissement risquent de déborder et l’accès à Brooklyn, relié à la capitale par une seule route jonchée de déchets et d’eau stagnante, pourrait être encore plus difficile. 

Face à cette situation, Odans El Mondo, médecin à MSF, a décidé d’exercer à l’unique centre de santé du quartier, pour soutenir cette communauté isolée. « Imaginez une communauté sans aucun hôpital fonctionnel. Lorsque la violence éclate, nous devons nous transformer en salle d’urgence, alors que nous ne sommes qu’un centre de santé destiné aux consultations. Les besoins sont immenses, et les gens n’ont nulle part où aller », conclut le médecin.