Gaza, toutes les composantes d’une société ont été détruites
Par Isabelle Defourny, présidente de MSF-France, et Christopher Lockyear, secrétaire général de MSF
Depuis un an, nous sommes témoins à Gaza de violences extrêmes perpétrées contre les personnes civiles. Nous nous sommes récemment rendus à Gaza afin de soutenir les équipes de MSF sur place. Nous avons alors visité la « zone humanitaire », déclarée sûre par Israël qui l’attaque pourtant régulièrement. Juste la semaine dernière, un projectile est tombé à 250 mètres de notre clinique, sans préavis. Dans la bande de Gaza, près de 1,5 million de personnes ont été forcées de se déplacer et tentent maintenant de survivre dans une grande précarité. Si cela est possible, nos collègues nous racontent que la situation dans le nord est pire encore.
Depuis plusieurs semaines déjà, les gens vivant dans les districts de Beit Hanoun, Jabalia et Beit Lahia, au nord de Gaza, sont soumis à l’une des attaques les plus violentes depuis le début de la guerre. L’armée israélienne bombarde des quartiers entiers, multipliant les massacres, tout en donnant des ordres d’évacuations impossibles à respecter. Parmi les individus qui tentent de fuir, beaucoup se sont fait bombarder ou tirer dessus, tandis que d’autres ont été arbitrairement arrêtés et détenus.
Nos collègues et leurs familles sont les témoins directs et impuissants de la férocité de l’offensive. Ils ont peur de mourir, à juste titre. Le 10 octobre, notre collègue Nasser Hamdi Abdelatif Al Shalfouh a été tué par des éclats d’obus. Le 14 octobre, un physiothérapeute de MSF et son fils ont été blessés. Le 24 octobre, Hasan Suboh, un employé de MSF, a été tué dans une attaque israélienne sur le bâtiment où il se trouvait à Khan Younès. Au total, huit de nos collègues ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre 2023.
Après deux semaines de siège total, début octobre, Israël a autorisé l’entrée de quelques camions humanitaires dans le nord de Gaza. Cet apport est dérisoire en regard à la quantité d’aide qui serait nécessaire.
Au début d’octobre, les forces israéliennes ont assiégé les trois principaux hôpitaux de la zone, l’hôpital indonésien, Al-Awda et Kamal Adwan, où se trouvaient des centaines de patients et de patientes.
Le 19 octobre, un médecin de MSF, qui s’était réfugié dans l’hôpital Kamal Adwan, décrivait la situation désastreuse dans la structure assiégée, débordée de patients et de patientes, et à court de matériel médical. C’était avant que l’hôpital ne soit attaqué et pris d’assaut par les forces israéliennes, entre le 25 et le 28 octobre, puis à nouveau bombardé au cours des dernières semaines. Des dizaines de membres du personnel soignant ont également été arrêtés et détenus, dont le Dr Mohammed Obeid, l’un de nos collègues.
Les structures médicales, gravement endommagées ou mises hors service, sont désormais incapables de prendre en charge toutes les personnes blessées, qui sont ainsi condamnées à mourir. Nous avons entendu des histoires poignantes de personnes qui sont décédées à cause notamment du manque d’électricité. Depuis la mi-octobre, le nombre de consultations effectuées chaque semaine dans notre clinique, dans la ville de Gaza, a plus que doublé, en raison de l’arrivée des personnes déplacées depuis le nord de Gaza.
Les attaques actuelles dans le nord de Gaza, particulièrement brutales, sont la suite logique de la stratégie adoptée jusqu’à présent par l’armée israélienne. Depuis le début de l’offensive menée en réponse aux massacres du Hamas, le 7 octobre 2023, nous avons assisté à une campagne de bombardements aveugles, accompagnée d’ordres d’évacuation fondés sur le mensonge quant à l’existence de « zones sûres ».
Se faire tuer en cherchant à fuir, ou mourir assiégé à domicile : voici l’impossible choix offert par Israël aux gens de Gaza. L’espoir d’atteindre une destination sûre hors de l’enclave est également interdit, tous les points de passage permettant la sortie de Gaza étant fermés depuis mai 2024. Nous avons exigé à de multiples reprises la réouverture de ces points de passage, et notamment de celui de Rafah, accompagnée de garanties sur le droit au retour de la population.
Par ailleurs, le plan « Eiland » terrorise les gens à Gaza. Il s’agit d’un plan militaire qui consisterait à éliminer les Palestiniens et les Palestiniennes de la partie nord de Gaza, en les forçant à partir, en les tuant ou en affamant ceux et celles qui restent. La manière dont est menée l’offensive en cours dans le nord, et le langage déshumanisant que les autorités israéliennes emploient à l’égard des Palestiniens et Palestiniennes renforcent l’idée que nous assistons à l’exécution de ce plan.
À Gaza, les atrocités s’accumulent. Israël a tué plus de 43 000 personnes, dont près de 14 000 enfants. Selon le ministère de la Santé, plus de 100 000 enfants auraient été blessés. Nos collègues sont les premiers témoins des horreurs de ce pilonnage incessant : des enfants brûlés, d’autres avec des membres écrasés, après avoir été ensevelis sous les décombres pendant des heures, d’autres encore ayant subi des amputations sans anesthésie.
Les forces israéliennes n’ont pas épargné la population de Gaza. À plusieurs reprises, ils ont continué à anéantir la bande de Gaza, la rendant inhabitable. Au cours de nos visites, et même si nous nous attendions au pire, nous avons été choqués par l’ampleur des destructions : habitations, infrastructures d’eau et d’électricité, écoles, universités, mosquées, églises, hôpitaux, archives publiques, sites historiques. Nos collègues nous ont raconté la destruction de la vie sociale, de l’enfance, de l’espoir et même de la mémoire. Les photos et les souvenirs ont aussi été détruits. Toutes les composantes d’une société ont été détruites.
En janvier 2024, la Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné à Israël de cesser de tuer les personnes civiles, de mettre fin aux déplacements forcés, de garantir l’accès à l’aide humanitaire et de prendre toutes les mesures en son pouvoir pour mettre fin à l’anéantissement de la bande de Gaza. Dix mois plus tard, aucune action concrète n’a été prise pour prévenir un génocide. Au contraire, les forces israéliennes continuent de tuer quotidiennement et de rationner l’aide qui entre à Gaza, qui n’a jamais été aussi limitée. Tout cela, grâce notamment au soutien de ses alliés occidentaux, et en particulier des États-Unis.
Le vote de la Knesset du 28 octobre dernier, interdisant à l’UNRWA de travailler en Israël, est le dernier coup dévastateur porté aux capacités de porter secours aux Palestiniens et aux Palestiniennes.
L’impunité dont bénéficie Israël doit cesser de toute urgence. Ses alliés doivent mettre fin au soutien inconditionnel qu’ils apportent à la campagne israélienne d’anéantissement.