Gaza : enfin un cessez-le-feu temporaire
Désormais, le monde doit agir de manière décisive pour augmenter massivement l’aide humanitaire et faire face aux conséquences de la guerre.
« Depuis plus de 400 jours, nous n’avons pas entendu de célébrations, de chants, de danses. Gaza, hier soir, a commencé à fêter, à chanter. Dans les rues, on peut entendre les enfants chanter des chansons. »
Mon collègue, Mohammed Abu Mughaisib, un médecin qui travaille pour Médecins Sans Frontières (MSF) à Gaza, a prononcé ces mots après avoir entendu l’annonce initiale d’un possible accord de cessez-le-feu à Gaza.
Mohammed poursuit : « Beaucoup de mes collègues pleuraient. Personnellement, j’ai eu des sentiments mitigés. À certains moments, j’avais envie de sourire, de rire et de chanter, et en même temps de pleurer, d’avoir de la peine. Nous pleurerons à propos de beaucoup de choses lorsque le cessez-le-feu commencera. Nous pleurerons pour les personnes que nous avons perdues, pour les amis et pour les membres de nos familles. Nous pleurerons pour les enfants orphelins. Nous pleurerons pour les veuves de Gaza. Nous pleurerons pour les personnes handicapées. Nous pleurerons pour les maisons qui ont été démolies et les foyers qui ont été détruits. »
Nous saluons enfin l’annonce d’un cessez-le-feu temporaire, qui arrive tragiquement tard, après d’immenses souffrances et d’innombrables vies perdues, dont celles de neuf de nos collègues de MSF. Alors que commence ce répit essentiel, nous avons maintenant une occasion cruciale de faire face aux impacts catastrophiques de la guerre.
Le cessez-le-feu temporaire permet à la communauté internationale de prendre la pleine mesure de l’ampleur de la destruction à Gaza. Le bilan de ce conflit est stupéfiant. Plus de 46 000 Palestiniennes et Palestiniens ont été tués, plus de 105 000 personnes ont été blessées et environ 1,9 million – 90 % de la population de Gaza – a été déplacé. Pendant ce temps, de nombreuses familles en Israël continuent d’attendre désespérément le retour de leurs proches pris en otage en octobre 2023.
La destruction systématique des installations médicales a laissé l’infrastructure sanitaire de Gaza en ruine. Le système de santé a été décimé : seuls 17 des 36 hôpitaux de Gaza fonctionnent partiellement, tandis que 19 sont totalement hors service. D’octobre 2023 à octobre 2024, le personnel de MSF a subi à lui seul 41 attaques et incidents violents. Il s’agissait surtout de frappes aériennes, de bombardements et de violentes incursions dans les installations de santé, de tirs directs sur les abris et les convois de l’organisation, ainsi que de détentions arbitraires de collègues par les forces israéliennes. La reconstruction du système de santé de Gaza prendra des années et nécessitera un soutien international important.
L’impact de la guerre se fera sentir pendant des générations. Nous prévoyons qu’un nombre impressionnant de personnes blessées durant la guerre exigeront des années de rééducation et risquent des infections, des amputations et des handicaps permanents. Le traumatisme psychologique – infligé par la violence, la perte d’êtres chers et de leur foyer, les conditions de vie difficiles et les déplacements répétés – suscite des besoins énormes et urgents qui se perpétueront pendant des décennies.
En outre, le bilan environnemental du conflit exacerbera les risques sanitaires à long terme pour les gens de Gaza. Selon des estimations publiées dans The Lancet, le nombre de décès excédentaires résultant de la guerre, y compris ceux dus à l’effondrement des soins de santé, à la malnutrition et aux épidémies, pourrait atteindre 186 000, dont 148 000 seraient des décès indirects. Ces chiffres soulignent la triste réalité : même avec un cessez-le-feu, le chemin vers le retour à la normale est encore long.
Au cours des 15 derniers mois de guerre, les autorités israéliennes ont drastiquement réduit l’entrée à Gaza d’articles essentiels tels que la nourriture, l’eau et les fournitures médicales. Ce blocus doit s’arrêter immédiatement pour éviter de nouvelles souffrances. Des restrictions strictes ont aussi été imposées aux personnes ayant besoin d’une évacuation médicale. Nous continuons à traiter des patientes et des patients qui se sont vu refuser une évacuation médicale sans qu’aucune explication claire ne leur soit fournie. Les gens qui ont besoin de soins médicaux spécialisés n’ont nulle part où aller. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, au moins 12 000 personnes nécessitent une évacuation médicale depuis Gaza.
Les Palestiniennes et les Palestiniens continuent de lutter pour leur survie dans ce qui est essentiellement devenu un piège mortel – une zone de guerre sans refuges ni échappatoires viables.
Notre empathie et notre humanité ne doivent pas s’arrêter à l’annonce d’un cessez-le-feu. Pendant plus d’un an, les Canadiennes et Canadiens de tout le pays ont plaidé fermement en faveur du cessez-le-feu nécessaire pour mettre fin à l’effusion de sang. Maintenant, nous devons utiliser nos voix et notre pouvoir pour demander aux autorités israéliennes de garantir d’urgence l’acheminement de l’aide humanitaire à Gaza. MSF s’engage à travailler 24 heures sur 24 pour fournir des soins aux personnes habitant à Gaza, mais nous ne pouvons pas le faire seuls. Les besoins humanitaires ont, en effet, atteint des niveaux catastrophiques. Il ne sera possible d’y répondre que par une augmentation rapide et massive de l’aide humanitaire mondiale à Gaza.
Au Canada, les politiciennes et politiciens fédéraux et provinciaux peuvent également user de leur pouvoir pour soutenir les milliers de personnes blessées palestiniennes en attente d’une évacuation médicale. Ce mois-ci, le gouvernement du Manitoba, avec le soutien de MSF et d’autres partenaires, a facilité la première évacuation médicale d’un enfant palestinien vers le Canada pour des soins médicaux qui changeront sa vie. D’autres provinces peuvent suivre cet exemple en accueillant des personnes qui ne peuvent pas recevoir les soins médicaux complexes et soutenus dont elles ont besoin à Gaza. Le gouvernement canadien doit également user de son influence diplomatique pour aider à remettre en cause les longues procédures et les refus inexpliqués qui bloquent les évacuations médicales de gens gravement blessés.
Un cessez-le-feu digne de ce nom doit s’accompagner d’une réponse globale à ces besoins urgents. La communauté internationale doit profiter de cette occasion pour trouver des solutions durables et empêcher que la dévastation ne s’aggrave. Ne pas agir de manière décisive maintenant, à la lumière des preuves accablantes de la souffrance humaine, serait un échec moral de la plus haute importance.