Karam, 17 ans, du camp de Nuseirat dans le centre de Gaza, profite d’une séance de physiothérapie à l’hôpital de chirurgie reconstructive de MSF à Amman, en Jordanie.
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Gaza : de nombreuses personnes ont besoin d’une thérapie complète et à long terme

Dr Ahmad Mahmoud Al Salem
Psychiatre MSF

Depuis les événements du 7 octobre et le début de la guerre qui s’en est suivie à Gaza, de nombreuses personnes ont été touchées. Selon l’Organisation mondiale de la Santé, près de 95 000 individus ont été blessés par les attaques israéliennes. Parmi eux, plus de 12 000 ont besoin d’une évacuation médicale urgente. Seule une infime partie de ces personnes blessées a toutefois été autorisée à quitter la bande de Gaza pour chercher des soins adéquats dans d’autres pays, au terme d’une procédure longue et compliquée.

Chaque évacuation doit en effet être approuvée par les autorités israéliennes, ce qui peut prendre de nombreux mois. Les critères d’admissibilité des demandes ne sont d’ailleurs ni clairs ni transparents.

Médecins Sans Frontières (MSF) appelle les autorités israéliennes à garantir une évacuation médicale aux Palestiniens et Palestiniennes ayant besoin de soins médicaux spécialisés, de même qu’au personnel soignant. Nous demandons aussi aux autres États de les recevoir et de faciliter les traitements à l’extérieur de Gaza. Il faut aussi garantir à tous et à toutes un retour sûr, volontaire et digne dans la bande de Gaza.

À l’hôpital de chirurgie reconstructive de MSF à Amman, en Jordanie, nos équipes soignent les quelques enfants gazaouis que nous avons réussi à transférer en vue d’une rééducation, après qu’ils aient été évacués une première fois vers l’Égypte.

Nos équipes de santé mentale qui offrent des soins dans cet hôpital ont remarqué qu’avant le 7 octobre, les gens de Gaza souffraient déjà de dépression et de frustration. Ces symptômes étaient sont souvent liées au chômage, à la pauvreté et aux taux élevés de toxicomanie, ainsi qu’aux handicaps et aux amputations causés par les guerres précédentes. Cependant, depuis le 7 octobre, la santé mentale de la population de Gaza s’est considérablement détériorée. Le Dr Ahmad Mahmoud Al Salem, psychiatre de MSF, nous parle des symptômes que présentent les enfants gazaouis à l’hôpital et du soutien que nos équipes leur apportent pour améliorer leur santé mentale.

Abdul Rahman reçoit un traitement à l’hôpital de chirurgie reconstructive de MSF à Amman, en Jordanie.

Questions et réponses

Quels sont les problèmes de santé mentale que les équipes de MSF ont constatés chez les Gazaouis depuis le 7 octobre?

« Plusieurs personnes venant de Gaza à l’hôpital d’Amman souffrent non seulement de troubles de stress post-traumatique (TSPT), mais aussi du syndrome de stress aigu. De nombreux jeunes ont assisté à la destruction de leur maison, au meurtre de leurs frères et sœurs, et certains ont même subi des blessures qui ont changé leur vie. En outre, ils entendent constamment parler du décès d’autres membres de leur famille et de leurs amis.

Il ne s’agit pas d’un traumatisme normal, mais d’un désastre gigantesque qui les tourmente, de sorte que leur esprit est incapable de supporter tout ce stress. Ces jeunes développent généralement ce que nous appelons un syndrome de stress aigu : ils font ainsi beaucoup de cauchemars et de flash-back, sont de mauvaise humeur, souffrent d’insomnie et évitent tout souvenir traumatisant.

Si le syndrome de stress aigu persiste pendant plus d’un mois, il devient alors un trouble de stress post-traumatique (TSPT). Mais si une personne souffrant de TSPT continue de recevoir de mauvaises nouvelles de Gaza – par exemple la mort de nombreux autres membres de sa famille –, elle développe alors un nouveau trouble de stress aigu ou une nouvelle cause de détresse. À partir de là, cela devient un traumatisme complexe. Il ne s’agit pas d’un seul traumatisme, mais d’une série de traumatismes. »

Comment les équipes de santé mentale de MSF traitent-elles les personnes qui souffrent de ces troubles?

« Les adolescents et les adolescentes peuvent souffrir d’une véritable détresse, car ils ou elles commencent tout juste à former leur personnalité et leur identité. Ces jeunes commencent à comprendre leur place dans le monde et se demandent : serai-je productif un jour? Serai-je séduisant? Pourrai-je gagner de l’argent?

Les jeunes ayant subi d’horribles blessures qui ont changé leur vie auront besoin d’une psychothérapie à long terme. En effet, ils ont besoin non seulement d’aide pour surmonter les mauvais souvenirs et les traumatismes, mais aussi pour entrer dans une vie nouvelle, et angoissante, où ils risquent de ne pas se sentir acceptés.

Les adolescentes et adolescents sont en train de former leur identité et, en général, s’ils ont été amputés d’un membre ou si leur visage a été brûlé, leur sentiment d’indépendance est réduit à néant. Ils perdent leur estime de soi et leur identité est menacée et blessée. Le sentiment d’être désiré est également mis à mal.

Ces enfants ont besoin de soutien pour reconstruire leur estime de soi et leur confiance en soi. Nous essayons de travailler avec eux pour les rendre autonomes grâce à l’ergothérapie et de leur montrer qu’ils peuvent se développer et se rétablir. Mais cela prend du temps.

Une personne plus jeune, d’une dizaine d’années ou moins, peut s’en sortir plus facilement qu’une personne adulte ou adolescente qui est assez âgée pour comprendre ce qui s’est passé, à condition que ses parents soient résilients.

Deema, 11 ans (à gauche), prend part à une séance de physiothérapie à l’hôpital de chirurgie reconstructive de MSF à Amman, en Jordanie.

Ces jeunes ont besoin d’une thérapie complète et à long terme. Ici, à l’hôpital de MSF à Amman, nous travaillons avec eux par le biais d’une série de méthodes, comme la thérapie individuelle, les activités éducatives et, dans les cas les plus graves, la psychiatrie et la médication. L’objectif est de les soutenir pour qu’ils puissent à nouveau s’aimer eux-mêmes et aimer la vie. Ils auront cependant besoin de cette psychothérapie pendant des années pour les soutenir et atténuer l’effet psychologique de l’événement traumatisant qu’ils ont vécu. »