Est de la RDC : le coût humain des déficits de financement de l’aide humanitaire internationale
Dans l’est de la RDC, les lacunes du financement humanitaire entraînent d’immenses souffrances.
Esther, mère de trois enfants, est hébergée dans un camp de personnes déplacées au Nord-Kivu, une province de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). Elle et sa famille ont fui la guerre à trois reprises au cours des derniers mois. « J’avais l’espoir de rentrer et de retrouver ma vie », a-t-elle récemment confié aux équipes de Médecins Sans Frontières (MSF) dans le camp d’Elohim, près de la capitale provinciale de Goma. « Mais je suis obligée de rester et de souffrir dans ce camp », ajoute-t-elle.
Esther fait partie des quelque 6 millions de personnes qui ont été forcées de quitter leur foyer à cause des combats entre les différents groupes armés de la région. Elle et d’autres personnes sont arrivées à Goma à la recherche de sécurité, d’un abri et d’une assistance humanitaire. Elles y ont plutôt trouvé des camps sordides et surpeuplés qui n’offrent que peu de protection et ne répondent pas aux besoins fondamentaux des gens. « Certaines personnes déplacées reçoivent une aide alimentaire, dit-elle, [mais] d’autres non. Les plus vulnérabilisées meurent de faim. Pour l’instant, trouver de la nourriture relève du miracle. »
Le conflit brutal qui sévit dans l’est de la RDC a engendré une crise humanitaire majeure. Le système humanitaire international qui est censé répondre à de telles crises n’a toutefois pas réussi à soulager les immenses souffrances auxquelles les personnes civiles sont confrontées. Nombreuses sont les personnes qui ne parviennent pas à trouver de la nourriture ou de l’eau potable. Dans les camps de personnes déplacées surpeuplés, il n’y a pas assez d’abris sûrs et pratiquement pas de latrines sécuritaires ou d’endroits pour se laver. Les violences sexuelles, perpétrées à l’intérieur et aux alentours des camps et par les groupes armés qui combattent le conflit, ont atteint des niveaux alarmants. Ces violences ciblent principalement les femmes et les filles de tous âges, et il y a peu de protection ou de soins pour celles qui y survivent.
Des efforts sont en cours pour répondre aux besoins les plus urgents. Toutefois, pendant la majeure partie des deux dernières années, le manque de ressources a empêché les agences des Nations Unies et les acteurs de l’assistance humanitaire et du développement d’intensifier leurs activités pour répondre à la plupart des besoins. Cela a notamment fait en sorte que les distributions de nourriture, les systèmes d’approvisionnement en eau, les services de protection, les abris et les services d’intervention d’urgence n’ont pas pu atteindre les personnes qui se trouvent dans des situations désespérées et dangereuses.
Le manque de financement de la réponse humanitaire constitue un problème majeur : aujourd’hui, seuls 50,2 % des fonds humanitaires nécessaires ont été engagés. Pour répondre efficacement aux urgences, il faut déployer à grande échelle du personnel, des fournitures et des ressources financières. Le système humanitaire dépend fortement du financement des gouvernements de la communauté internationale, dont les budgets d’aide humanitaire comprennent des contributions aux Nations Unies et à d’autres organismes multilatéraux compétents. Ces budgets fournissent également le financement dont dépendent de nombreuses organisations privées pour mener à bien des programmes humanitaires en cas de crise.
Ces dernières années, ce financement a été de plus en plus sollicité, car les gouvernements se sont efforcés de répondre simultanément à de multiples urgences mondiales de grande ampleur, tandis que certains budgets d’aide stagnaient ou, pire, diminuaient. Aucun mécanisme de financement spécifique n’a été annoncé pour répondre à la crise du Nord-Kivu et des provinces environnantes. De nombreuses organisations n’ont donc pas été en mesure d’intensifier leurs activités en conséquence.
La RDC n’est pas le seul exemple de besoins humanitaires croissants et non satisfaits en raison de problèmes critiques de financement. Le Global Humanitarian Overview (GHO), qui regroupe les différents plans d’intervention internationaux nécessitant un financement, a indiqué fin août que seuls 30 % des besoins totaux identifiés pour 2024 – couvrant l’assistance humanitaire pour plus de 186 millions de personnes dans 73 pays – avaient été atteints. Cela représente un déficit de 34,5 milliards de dollars américains.
Ces chiffres ont de très graves conséquences humaines. Dans les camps de Goma, dans l’est de la RDC, les lacunes dans la distribution de nourriture ne sont pas seulement préoccupantes en termes de malnutrition, mais elles contribuent également à une exposition accrue aux violences sexuelles. De nombreuses personnes ayant survécu à des violences sexuelles, et traitées par les équipes médicales de MSF dans les camps de Goma, rapportent qu’elles ont été attaquées alors qu’elles tentaient de trouver la nourriture ou l’argent dont elles avaient besoin pour nourrir leurs enfants. Des problèmes pourraient cependant être résolus avec un financement, même modeste, qui permettrait, par exemple, d’améliorer l’éclairage dans les camps ou d’installer des serrures sur les portes des latrines. Ces facteurs, qui peuvent paraître anodins, contribuent à rendre les personnes vulnérabilisées encore plus susceptibles d’être la cible de telles attaques. Ces risques s’ajoutent à l’augmentation du nombre de maladies qui, comme le choléra, sévissent lorsque les latrines des camps ne sont pas construites ou utilisées.
Alors que de plus en plus de personnes dans le monde sont touchées par des crises mondiales de grande ampleur – qu’il s’agisse de conflits, d’épidémies ou de catastrophes liées au climat – la volonté et la capacité des gouvernements à répondre à ces crises et à remédier aux souffrances qu’elles provoquent semblent s’émousser. Face à l’immensité des priorités, de nombreux pays, traditionnellement donateurs, réduisent leurs budgets d’aide humanitaire. Du coup, les agences d’aide doivent en faire plus avec moins. Le Canada s’est récemment avéré une belle exception à cette tendance. Néanmoins, cette situation se traduit par des besoins plus importants et un plus grand nombre de personnes qui n’ont nulle part où aller.
En tant qu’organisation médicale et humanitaire indépendante, MSF ne dépend pas du financement gouvernemental pour assurer ses activités d’assistance dans plus de 70 pays à travers le monde. Nous recevons quelques fonds de certains pays, dont le Canada. Toutefois, pour préserver notre neutralité et notre impartialité dans les situations de conflit, plus de 95 % de notre financement international provient de dons privés.
Grâce à ce soutien, nos équipes médicales d’urgence ont continué à répondre aux besoins critiques dans les endroits du monde où des situations d’urgence se produisent. Dans l’est de la RDC, nous menions déjà de nombreuses interventions en 2022, lorsque le conflit a éclaté dans la région, et nous avons intensifié nos activités en conséquence. En plus de fournir des soins médicaux primaires, nous avons traité les personnes touchées par les épidémies de choléra et de rougeole. Nous avons également mis en place des programmes de lutte contre la malnutrition et fourni des soins médicaux et psychosociaux aux personnes ayant survécu à des violences sexuelles et sexistes. Nous avons par ailleurs construit des installations sanitaires et fourni de l’eau potable dans de nombreux camps de personnes déplacées. Nos équipes interviennent dans les provinces orientales du Nord-Kivu, du Sud-Kivu et de l’Ituri, souvent dans des endroits où aucune autre organisation humanitaire n’est présente.
Mais nous ne pouvons pas tout faire seuls. Beaucoup d’autres agences dépendent du financement institutionnel des gouvernements donateurs et ne peuvent pas agir davantage sans soutien supplémentaire. C’est pourquoi, depuis plus d’un an, MSF demande une intensification de la réponse humanitaire, et le financement nécessaire pour y parvenir.
Dans les situations de conflit et de crise, chaque minute compte. Chaque minute perdue dans la réponse aux déplacements, à la violence et à la malnutrition, se traduit trop souvent par des pertes de vies. Dans l’est de la RDC, où il a fallu, à de nombreux gouvernements, plus de deux ans, ne serait-ce que pour reconnaître l’existence d’une nouvelle situation d’urgence, des centaines de milliers de personnes se sont trouvées piégées, et n’ont plus d’options. La mise en place d’un système international efficace de réponse aux urgences humanitaires devrait être une priorité pour les membres de la communauté internationale.