Redonner vie au système d’approvisionnement en eau dans le Tigré, en Éthiopie
« Je suis l’homme de l’eau », déclare Weldekiros Assefa, ingénieur et expert en eau et assainissement pour Médecins Sans frontières (MSF) en Éthiopie. « J’ai le meilleur travail chez MSF. »
Weldekiros Assefa vérifie les pompes à eau manuelles à May Kwait, un petit village du nord-ouest du Tigré, une région d’Éthiopie, où 600 pompes manuelles fonctionnent à nouveau après avoir été réparées avec l’aide de MSF. Les pompes réparées rétablissent l’accès à l’eau potable dans un endroit où, il n’y a pas si longtemps, l’eau était rare, voire inexistante, pendant deux années de guerre civile.
« Quand les combats ont dégénéré ici, les gens ont fui dans la forêt pendant une semaine », explique Weldekiros Assefa. « Lorsqu’ils sont revenus, l’électricité avait été coupée et les pompes manuelles dont beaucoup dépendent pour s’approvisionner en eau avaient été démantelées et remplies de pierres. Il s’agissait des dernières pompes en état de marche dans la région. »
La population de May Kwait n’a eu d’autre choix que de marcher 1,5 km pour aller chercher de l’eau à la rivière. Beaucoup de gens sont tombés malades à cause de la diarrhée. L’eau dont ils disposaient était principalement utilisée pour cuisiner et boire, mais pas pour se laver. Cette situation a augmenté le risque de maladies de la peau et d’autres maladies qui se propagent rapidement en l’absence d’accès à l’hygiène.
MSF est de retour au Tigré
Lorsque les équipes MSF ont pu revenir au Tigré en novembre 2022, la région sortait d’une guerre civile dévastatrice qui a duré deux ans. Les conflits avaient causé des dommages importants aux infrastructures, en raison d’un manque d’entretien, de destructions intentionnelles ou des combats. Les structures de santé fonctionnaient à peine.
L’une des priorités de MSF a été de réhabiliter les systèmes d’approvisionnement en eau des établissements de santé et de rétablir un système de gestion des déchets opérationnel. À l’hôpital Suhul de Shire, par exemple, l’équipe a réussi à remettre en fonction l’approvisionnement en eau potable et a construit des latrines, des douches et des zones pour se laver. Elle a également installé des incinérateurs pour assurer l’élimination en toute sécurité des déchets médicaux tranchants, mous et organiques tels que les aiguilles, les seringues, les pansements souillés et les parties du corps. Plus important encore, l’équipe a déblayé une montagne d’ordures contenant des déchets médicaux dangereux à proximité de l’établissement.
Un autre objectif essentiel était d’apporter de l’eau salubre dans les foyers, afin de lutter contre la propagation des maladies d’origine hydrique, notamment les diarrhées aqueuses aiguës, les maladies de la peau et des yeux, ainsi que celles causées par des parasites. La plus grande crainte était que le manque d’accès à l’eau potable ne déclenche une épidémie de choléra.
Les conséquences médicales du manque d’accès à l’eau et à l’assainissement
Entre décembre 2022 et mars 2023, plusieurs évaluations ont été menées dans le nord-ouest et le centre du Tigré. Elles ont montré que seulement 34 % des pompes manuelles à eau fonctionnaient encore parmi les 2000 étudiées dans 14 districts. Il était donc essentiel de réparer les pompes inutilisables avant la saison des pluies, lorsque les sources d’eau peuvent être contaminées par la défécation en plein air, augmentant ainsi le risque d’épidémies de choléra.
Lorsque les pompes manuelles ne fonctionnent pas, les gens utilisent l’eau des lacs et des rivières, qui est souvent malsaine. « À un moment donné, vers la fin du mois de mars, près d’une personne sur quatre que nous voyions en ambulatoire dans le Tigré souffrait de maladies hydriques évitables », explique Samreen Hussain, coordinatrice médicale de MSF en Éthiopie.
Fin avril, plusieurs cas de diarrhée aqueuse aiguë ont été enregistrés à Derso, un petit village au sud de Sheraro, après qu’un garçon de dix ans soit décédé alors qu’il se rendait dans un centre de santé rural. « Les conditions de vie dans le village étaient très mauvaises », mentionne Daniel Shmondi, superviseur de MSF responsable de l’eau et de l’assainissement qui faisait partie de l’équipe chargée d’évaluer la situation dans la région. « Il n’y avait pas de puits et les gens utilisaient l’eau de la rivière pour toutes sortes d’usages. La défécation à l’air libre était une pratique courante près des maisons. »
L’équipe a donc distribué des comprimés de purification de l’eau à 120 ménages et a vérifié si d’autres personnes du village étaient tombées malades. Elle a découvert que deux frères et sœurs du garçon décédé souffraient de diarrhée sévère. Ces enfants ont été admis dans un centre d’isolement que MSF a aidé à mettre en place à Sheraro pour se préparer à une éventuelle épidémie de choléra.
Cela a également déclenché une réaction à l’hôpital de Suhul, le centre de référence de la région, qui se trouve à deux heures de route. L’hôpital a réhabilité son centre de traitement du choléra et formé son personnel pour renforcer sa capacité à réagir en cas d’épidémie.
L’insécurité persistante ralentit le rétablissement des infrastructures d’eau
Tôt le matin, Adisalem charge son chameau avec les pièces détachées dont il aura besoin pour réparer une pompe manuelle à Ademeyti, un village situé à la frontière avec l’Érythrée. « Dans cette région, la plupart des gens ne sont pas encore rentrés chez eux », explique-t-il. « Beaucoup vivent toujours dans des camps ou chez des hôtes de la communauté. »
L’insécurité persistante a également ralenti le rétablissement après la guerre. Les infrastructures hydrauliques du Tigré ont fait l’objet de réparations coûteuses à plusieurs reprises, avant d’être à nouveau pillées ou intentionnellement détruites.
Les organisations humanitaires ont hésité à mener de nouvelles interventions d’envergure. Il a fallu six mois pour remplacer les pompes de la station d’épuration qui fournit de l’eau potable à la ville de Sheraro. Pendant cette période, la ville a survécu grâce aux livraisons effectuées par camion ou à dos d’âne. En outre, MSF a distribué jusqu’à 1,4 million de litres d’eau potable par jour à six camps de personnes déplacées.
Lorsque les techniciens de la compagnie des eaux ne sont pas disponibles, ceux de MSF effectuent directement les réparations, tout en formant le nouveau personnel embauché par l’administration des eaux. L’objectif est d’agir comme un catalyseur dans la réactivation du système préexistant de réparation des pompes manuelles publiques.
Au fur et à mesure que le rétablissement se poursuit, des ressources et des efforts supplémentaires seront encore nécessaires. Il faudra accroître la disponibilité de l’eau potable et améliorer les conditions générales d’assainissement et d’hygiène dans certaines parties du Tigré.